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Michel Leter

Lectures and seminars / Cours et séminaires

 

 

Lectures and seminars in english (projects)

Lecture 1 : Aporias of Literary Criticism

Lecture 2 : Literary Cultures and Political Aesthetics as National Fictions : the French Case

Lecture 3 : Aesthetics, Metaphysics and Ethic in Contemporary Art

General Heuristics Seminar

 

Collège International de Philosophie

Théorie de l'heuristique littéraire (séminaire, 1990-1991)

Le Beau, le vrai, le bien dans l'art contemporain (séminaire, 1992-1993)

Education nationale et liberté : une approche heuristique (séminaire, 1993-1994)

L'autonomie de l'Université au point de vue cosmopolitique (séminaire, 1994-1995)

Critique de l'herméneutique (projet de séminaire, 1995-1996)

 

Université de Paris 8 (cours donnés et projets de cours)

Cours 4 : Axiologie esthétique du "Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac"

Cours 5 : Recherches sur les sources classiques de la "modernité" baudelairienne

Cours 6 : Le peintre Elstir et le musicien Vinteuil : l'esthétique éponymique de Marcel Proust

Cours 7 : Pierre Reverdy et les peintres cubistes

Cours 8 : Sur les peintures croisées de Michel Butor

Cours 9 : Esthétiques de l'épigramme au XVIIIe siècle, Ecouchard Lebrun et Piron

Cours 10 : Traduction, histoire, poésie : recherches sur les termes de la querelle des anciens et des modernes

Cours 11 : Histoire et poésie chez Victor Hugo

Cours 12 : Les poètes balzaciens et la poétique balzacienne

Cours 13 : Le mythe littéraire de la critique voltairienne de Leibniz dans le Candide ou l'optimiste et le Poème sur le désastre de Lisbonne

Cours 14 : Les De l'Allemagne de Madame de Staël et de Heine et l'écho rencontré par les controverses esthétiques allemandes dans la littérature française

Cours 15 : Louis Lambert et la philosophie balzacienne

Cours 16 : Esthétique, poétique et modernité chez Balzac

Cours 17 : Discours et valeurs dans les séries Matières de rêves, Génie du lieu, Illustrations, Envois et Avant-goût de Michel Butor

Cours 18 : Problèmes de l'énonciation philosophique dans le discours balzacien : Sténie, L'Elixir de longue vie, La Peau de chagrin, Melmoth réconcilié et Louis Lambert

 

 

Cours 4 : Axiologie esthétique du
"Chef-d'oeuvre inconnu" de Balzac

Argument
Dans ses Präludien, le néo-kantien Windelband définit l'axiologie comme la branche de la philosophie pratique qui traite de la constitution des valeurs. Cette notion peut être entendue sur son versant éthique comme sur son versant esthétique, d'autant que Rickert (cette autre figure de l'école de Baden) va jusqu'à subsumer le concept d'axiologie sous celui de culture.
Sous la restauration, tandis que Victor Cousin tentait vainement - au nom de l'éclectisme - cette synthèse entre raison pratique et jugement de goût (notions que Kant distingue encore, non sans hésitations), Balzac inscrivait déjà son esthétique dans une logique générale des valeurs. La fiction heuristique du Chef-d'oeuvre inconnu en constitue la trace la plus lisible.
Si nous ne saurions mesurer la portée de l'axiologie balzacienne à l'aune de la critique des sources, il n'est sans doute pas innocent de noter - dans le bouillonnement des esthétiques qui marqua la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle - que Schleiermacher tente une synthèse comparable dans ces leçons d'esthétiques (Vorlesungen über Aesthetik, publiées en 1842).

Avec les avant-gardes du XXe siècle, c'est de la valeur axiologique que se déduira la valeur esthétique, dans la mesure où l'art abstrait est fondé également sur "la recherche de l'absolu". Cette imitation de l'absolu - littéralement ce suprématisme - ne peut conduire qu'à la peinture non-objective, qui s'assume comme telle alors que maître Frenhofer ne peut historiquement en avoir qu'une conscience malheureuse. Il faut comprendre Le chef-d'oeuvre inconnu comme une critique de l'imitation de l'absolu dans l'objectif et non pas comme une critique définitive de la recherche de l'absolu dans l'art. Dans la figure de l'échec de maître Frenhofer, c'est en déplaçant la recherche de l'absolu hors du domaine de l'ut pictura poesis que Le chef-d'oeuvre inconnu annonce l'abstraction picturale.
Enfin, cette critique de l'absolu dans la figuration (de l'axiologie éthique dans l'esthétique), parce qu'elle est littéraire, engage aussi le langage comme critique de ce que Valéry appellera la fiducia, qui désigne l'adhésion spontanée que nous donnons aux mots, abstractions creuses, monnaies dévaluées. L'absolu étant explicitement chez Balzac (implicitement chez Marx?) cet espace fiduciaire pur où la valeur est saisie en soi indépendamment de l'usage et de l'échange (de la parole et de son commerce). Ainsi l'itinéraire des poètes Lucien de Rubempré et Canalis (mais aussi ceux du peintre Schinner et celui du Sculpteur Steinbock) peut-il apparaître comme le passage de l'absolu de la fiducia au fantastique quotidien du monde monétarisé. Seul le peintre Joseph Bridau, figure de Delacroix, échappe à ce destin, or ce dernier nous conduit à Baudelaire, lecteur de Balzac, qui déjouera la nostalgie légitimiste du roman par le poème en prose de la vie moderne.

 

Corpus de travail avec les étudiants
BALZAC Honoré de, Le chef d'oeuvre inconnu, Gambara, Massimilla Doni, GF/Flammarion, 1981.
BALZAC Honoré de, La cousine Bette, éd. Pierre Barbéris, Folio/Gallimard, 1972.
BALZAC Honoré de, Les illusions perdues, Folio/Gallimard, 1972.
BALZAC Honoré de, La recherche de l'absolu, intr. et notes de Nadine Satiat, Flammarion, 1993.
BALZAC Honoré de, Les secrets de la princesse de Cadignan, et autres études de femmes, éd. Samuel Sylvestre de Sacy, Gallimard, 1981.

Bibliographie
DIDI-HUBERMAN Georges, La peinture incarnée, Minuit, 1985.
EIGELDINGER Marc, La philosophie de l'art chez Balzac, Genève, P. Cailler,1957.
LAUBRIET Pierre, L'intelligence de l'art chez Balzac : d'une esthétique balzacienne, reproduction en fac.-sim. de l'édition de Paris, Didier, 1961, Genève, Slatkine, 1980.
MAHIEU Raymond, LERICHE Françoise, DAVID Eric, L'oeuvre d'art : Honoré de Balzac, "Le chef d'oeuvre inconnu, "Gambara", "Massimilla Doni" ; Marcel Proust "A l'ombre des jeunes filles en fleur..." ; Rainer Maria Rilke "Lettres à un jeune poète, Belin, 1993.
NISHIO Osamu, La signification du cénacle dans "La comédie humaine" de Balzac, Tokyo, 1980.
PITT-RIVERS Françoise, Balzac et l'art, éd. du Chêne, 1993.
PARIS Jean, Balzac, Balland, 1986.
RICKERT Heinrich, Die Grenzen der naturwissenschaftlichen Begriffsbildung, eine logische Einleitung in die historischen Wissenschaften, Tübingen, J. C. B. Mohr, , 1902.
RICKERT Heinrich, Kulturwissenschaft und Naturwissenschaft, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1910.
ROBB Graham, Baudelaire, lecteur de Balzac, José Corti, 1988.
WINDELBAND Wilhelm, Präluden, Aufsätze und Reden zur Philosophie und ihre Geschichte, Fribourg/Tübingen, 1884.

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Cours 5 : Recherches sur les sources classiques de la "modernité" baudelairienne

Argument
Valéry estimait que "l'essence du classicisme est de venir après". A en juger par l'oeuvre de Baudelaire, il n'est pas certain que la modernité esthétique entretienne la même relation chronologique avec le classicisme. Tout indique plutôt, chez le père de la notion de modernité (le néologisme proprement dit est de Balzac), que les deux coexistent. Déjà Delacroix- à qui Baudelaire doit tant - dans son Journal, tient que le beau naît d'une synthèse entre sa nécessaire éternité et sa contingente actualité. Delacroix est ce lecteur de Boileau qui (on songe à Musset) s'essaye à réconcilier Racine et Shakespeare, Mozart et Beethoven, Raphaël et Michel-Ange.
Cette modernité apparaît encore et toujours sous son avatar chrétien en ce que la relation entre l'esprit classique du beau et son corps historique (romantique) est perçu en tant que chute du premier dans le second. En esthétique, Baudelaire se montrera plus inactuel qu'avant-coureur puisqu'il n'illustre la sensualité poétique moderne que 70 ans après la proclamation par Herder du refus de la primauté sans partage de la vue en esthétique (Cf. Plastik, 1778).
En outre, les deux volets de la modernité baudelairienne correspondent aux deux moments du célébrissime ouvrage qui fonda le classicisme de Weimar : Histoire de l'art de l'antiquité de Winckelmann. La première partie traite de l'art "selon son essence", l'autre de l'art grec selon "les circonstances extérieures du temps". Les formules emblématiques employées par Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne : « Le beau est fait d'un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d'un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l'on veut, tour à tour ou tout ensemble, l'époque, la mode, la morale, la passion [...]La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel immuable. » peuvent être lues comme un résumé de l'oeuvre maîtresse de Winckelmann.
Aux sources de cette modernité, il est une autre esthétique - même si rien n'indique, sous réserve de recherches plus poussées, qu'elle ait directement influencé Baudelaire - celle de Leopoldo Cicognara. Inspiré fondamentalement par l'esthétique néo-classique Winckelmann, Cicognara est un des tout premiers théoriciens de l'esthétique à subir l'influence kantienne. Dans son analyse du concept de beau, Cicognara distingue : un beau relatif (subordonné au sentiment subjectif, aux murs, à la mode, etc.), un beau absolu (qui est propre aux formes symétriques et proportionnelles), un beau idéal (union de toutes les perfections et qui n'a pas de modèle dans la nature) d'avec le sublime, dont il distingue trois genres à l'instar de Kant.
Grand poète, Baudelaire, en dernière analyse, n'a pas d'originalité esthétique autre que celle que lui confère l'usage du mot modernité qu'il emprunte à Balzac (et que Gautier reprit également). Si son esthétique, dont Delacroix est l'intercesseur, est moderne, il le doit à Herder. Mais s'il fallait la définir plus précisément, nous dirions qu'elle est classiquement moderne par Cicognara et Winckelmann.
Nous nous interrogerons sur ce formidable décalage entre des esthétiques conçues à la fin du XVIIIe et leurs illustrations littéraires qui sont venues trop tard pour s'inscrire dans le débat esthétique.
Bien loin de déboucher sur une postmodernité, c'est à une refondation de la modernité que cette mise à l'épreuve critique pourrait bien nous conduire.

Corpus de travail avec les étudiants
BAUDELAIRE Charles, Curiosités esthétiques : l'art romantique et autres oeuvres critiques, Garnier, 1963.

Bibliographie
CICOGNARA Leopoldo, Del Bello, Firenze, Molini, Landi, 1808.
HERDER, Plastik (1778) in Herders sämmtliche Werke, vol.viii, Berlin, Weidmann, 1877-1913.
LETER Michel, Baudelaire et Cicognara : observations sur les sources de la « modernité » baudelairienne, Essais critiques sur la littérature 1983-1994, volume xxvi, L'invendu, Paris, 1995.
MESCHONNIC Henri, Modernité, modernité, Lagrasse, Verdier, 1988.
WINCKELMANN Johann Joachim, Histoire de l'art chez les anciens, reproduction en fac-similé de l'édition d'Amsterdam, 1766, Minkoff, 1972.

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Cours 6 : Le peintre Elstir et le musicien Vinteuil : l'esthétique éponymique de Marcel Proust

Argument
Il n'est pas certain que la critique ait à gagner en reconstruisant Whistler, Turner ou Renoir dans Elstir, et moins encore Franck ou Debussy dans Vinteuil. Il est également hasardeux d'utiliser ces "reconnaissances" pour tenter d'accréditer l'idée que Marcel Proust, le moderne, fut en phase avec les avant-gardes picturales et musicales de son temps.
Car c'est par des moyens proprement romanesques que cette esthétique est traduite : ce qui, pour la réminiscence proustienne, voulait la métaphore et la comparaison, voudra l'éponymie pour les personnages de "la Recherche".
L'éponymie est l'équivalent - pour un personnage (réel ou imaginaire) - de la métonymie de la partie pour le tout.
Ce qui fait la modernité de l'esthétique de Proust, en deçà même de la vision du narrateur, c'est qu'Elstir et Vinteuil sont les fruits d'une métonymie du créateur pour la création et non du personnage pour le type.

Corpus de travail avec les étudiants
PROUST Marcel, A l'ombre des jeunes filles en fleur, Folio/Gallimard, 1972.
PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, Folio/Gallimard, 1976.
PROUST Marcel, Le temps retrouvé, Folio/Gallimard, 1972.

Bibliographie
BOYER Philippe, Le petit pan de mur jaune : sur Proust, Seuil, 1987.
FISER Emeric, L'esthétique de Marcel Proust, Slatkine Reprints, 1990,
HENRY Anne, Marcel Proust, théorie pour une esthétique, Klincksieck, 1983.
LE PICHON Yann, Le musée retrouvé de Marcel Proust, Stock, 1990.
PLACELLA SOMMELLA Paola, Marcel Proust e i movimenti d'avanguardia, Roma, Bulzoni, 1982
VENISHI Taeko, Le style de Proust et la peinture, Sedes, 1988.

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Cours 7 : Pierre Reverdy et les peintres cubistes

Argument
Si on ne peut parler de formes poétiques autrement que dans le registre de la métaphore, il reste que les poètes modernes élisent volontiers domicile dans le monde des formes en rêvant d'une impossible symbiose de leurs créations avec celles des artistes. A la faveur de ce cours, nous tenterons de mesurer l'impact de la présence d'un poète tel que Reverdy dans la révolution plastique du premier vingtième siècle.

Corpus de travail avec les étudiants
REVERDY Pierre, Notes éternelles du présent, écrits sur l'art, 1923-1960, in oeuvres complètes, vol. 14, Flammarion, 1989.
REVERDY Pierre, Plupart du temps (1915-1922), préface d'Hubert Juin, Poésie/Gallimard, 1989.
REVERDY Pierre, Au soleil du plafond et autres poèmes, Flammarion, 1980,
REVERDY Pierre, Sources du vent, précédé de La balle au bond, préface de Michel Deguy, Poésie/Gallimard, 1971.

Bibliographie
APOLLINAIRE Guillaume, Les peintres cubistes : méditations esthétiques, Paris, Herman, 1980.
LÉGER Fernand, 55 oeuvres, 1913-1953, Exp. Galerie Louise Leiris, 2 avril-premier juin 1985, texte de Pierre Reverdy, contient "Pour tenir tête à son époque", texte de Pierre Reverdy publié pour la première fois dans le n° d'octobre-nov.-déc. 1955 de "derrière le miroir"(éd. Galerie Maeght).
LETER Michel, Peut-on parler de formes poétiques ? in Essais critiques sur la littérature,1983-1994, volume xxviii, Paris, L'invendu, 1995.
LINDE Maria Andina von der, Pierre Reverdy, poésie nouvelle et peinture cubiste, théorie et pratique, [sans lieu], [sans date], 1988.
MALDINEY Henri, Regard, parole, espace, L'âge d'homme,1973.
PAULHAN Jean, Braque, le patron, Gallimard, 1987.
PICASSO Pablo, 26 reproductions de peintures et dessins précédées d'une étude critique par Pierre Reverdy, Paris, éd. de la Nouvelle revue française, 1924.
ROUBAUD Jacques, "Poétique comme exploration des changements de formes", in Biologies et prosodies, Collectif change, UGE, 10/18, 1975, pp.74-93.

 

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Cours 8 : Sur les peintures croisées de Michel Butor

Argument
Le discours esthétique de Michel Butor n'est pas tant sur la peinture que dans la peinture. Ce qui ailleurs est commentaire, collaboration, voire illustration (Butor y cède, par antiphrase, dans la série du même nom, dont celle, plus récente, des Avant-goût déplace encore l'inachèvement) donne lieu chez Butor à de véritables "oeuvres croisées".
A partir de l'étude des transformations - en cours - du Pique-nique au pied des pyramides réalisé dans et par la série Egypte-Bleu d'Henri Maccheroni, l'examen de cette pratique nous préparera à une relecture des années 70, qui resteront sans doute pour avoir été le moment d'une synthèse unique entre écriture et peinture (à la faveur notamment des travaux des groupes Textruction, INterVENTION, du collectif Génération et de la galerie 30, auxquels Butor, comme compagnon ou mentor - en sa constellation - n'est pas étranger).
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Corpus de travail avec les étudiants
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in revue Métafore n°1, 1986, La Casa Usher, Florence, pp.7-9.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in Échanges, Carnets 1986, Z'éditions, Nice, 1991, pp. 71-77.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in BUTOR Michel et MACCHERONI Henri, oeuvres croisées/Opere incrociate, La Casa Usher, Florence, 1986, pp. 24-26.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides avec repères venus du premier Génie du lieu, in Le Génie du lieu 6, éditions Alessandro Vivas, Paris, 1991, pp. 30-42.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in Transit, Le Génie du lieu 4, Gallimard, Paris, 1992.

Bibliographie
BUTOR Michel, Les mots dans la peinture, Skira/Flammarion, Genève/Paris, 1969.
BUTOR Michel, Requête aux peintres sculpteurs & cie, Crest, La Sétérée, 1986.
BUTOR Michel, Vanité, conversation dans les Alpes-Maritimes (avec Henri Maccheroni et Michel Launay).
BUTOR Michel et SICARD Michel, Problèmes de l'art contemporain à partir des travaux d'Henri Maccheroni, Bourgois, 1983.
LETER Michel, Ce que nous attendons de Michel Butor et Henri Maccheroni, in Le Génie du lieu 6, éditions Alessandro Vivas, Paris, 1991, pp.66-79.
MONTICELLI Raphaël, Approche du continent Butor in Échanges, Carnets 1986, Z'éditions, Nice, 1991, pp. 9-27.
[COLLECTIF] Catalogue de l'exposition les écritures dans la peinture, 2 volumes, Centre National des Arts Plastiques, Villa Arson, Nice, 1984.

 

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Cours 9 : Esthétiques de l'épigramme au XVIIIe siècle, Ecouchard Lebrun et Piron

Argument
Pourquoi l'épigramme, forme mineure du classicisme, a-t-elle pu connaître sa période d'efflorescence à des époques majeures (monarchie absolue, Révolution, Empire) ? Comment d'un point de vue sociocritique cette pratique peut-elle posséder une valeur esthétique en ce qu'elle milite tacitement contre l'esthétisation du politique ?
Nous tenterons de répondre à ces deux questions en suivant le parcourt de celui qui demeure - sans doute avec Alexis Piron - notre meilleur épigrammatiste.

Corpus de travail avec les étudiants
LEBRUN Ponce-Denis Ecouchard, épigrammes, éditées et présentées par Michel Leter, Paris, L'invendu, 1995.

Bibliographie
COLLETET Guillaume, L'art poétique I, Traitté de l'épigramme et traitté du sonnet, texte établi et introduction par P. A. Jannini, Genève, Droz, 1965.
FUCHS Frederich, "Beitrag zur Geschichte des französischen Epigramms 1520-1800", in Das Epigramm, zur Geschichte einer inschriftlichen un literarischen Gattung, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1969, pp. 235-283.
LE BRUN Antoine-Louis, De l'épigramme, in oeuvres diverses en vers et en prose, Paris, Prault père, 1736.
LETER Michel, "Peut-on parler de formes poétiques ?" in Essais critiques sur la littérature 1984-1994, volume xxviii, Paris, L'invendu, 1995.
PELETIER Jacques, "De l'épigramme" Art poétique, pp. 292-293, in Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Le livre de poche classique, Librairie générale française, 1990.
SEBILLET Thomas, "De l'épigramme, et de ses usages et différences" Art poétique françois, pp. 101-107, in Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Le livre de poche classique, Librairie générale française, 1990.

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Cours 10 : Traduction, histoire, poésie : recherches sur les termes de la querelle des anciens et des modernes

Argument
Au-delà de la querelle d'époque et des stratégies politico-littéraires qui commandèrent la querelle des anciens et des modernes, ses enjeux furent avant tout philologiques. C'est dans cette optique qu'il faut comprendre l'intervention décisive de Madame Dacier, traductrice émérite, qui ne consentit à la polémique littéraire que pour défendre Homère, dans son Des causes de la corruption du goût. Le titre de l'ouvrage sonne comme une réaction et alimente au demeurant l'antienne du bon goût dressé contre la décadence. En fait ce que Dacier vise à travers le "moderne" La Motte - traducteur incident d'Homère - c'est l'économie chez ceux que l'on dit modernes des données philologiques. En cela la position paradoxale des "anciens", loin d'être réactionnaire, annonce les conquêtes philologiques de la fin du XVIIIe siècle. L'intérêt du XIXe siècle, par l'intermédiaire de Sainte-Beuve, pour Madame Dacier, prend ainsi tout son relief.

Corpus de travail avec les étudiants
DACIER Anne, Des causes de la corruption du goût, réédition en fac-similé de l'édition de Paris, 1714, Genève, Slatkine, 1970.
DACIER Anne, Homère défendu... ou suite des causes de la corruption du goût, réédition en fac-similé de l'édition de Paris, 1716, Genève, Slatkine, 1971.
FÉNELON François de Pons de Salignac, Lettres à l'Académie, Paris, Lefebvre, 1716.
FÉNELON François de Pons de Salignac et LA MOTTE Antoine Houdar de, Lettres de Fénelon et de La Motte sur Homère et les anciens, Paris, 1874.
FONTENELLE Bernard Le Bouvier de, "Digressions sur les anciens et les modernes", in oeuvres complètes, tome II, Fayard, 1991, pp.401-431.
LA MOTTE Antoine Houdar de, Traduction de L'illiade avec un discours sur Homère, suivi de La critique, ode et de L'indien et le soleil, fable, Paris, 1714.
perrault Charles de, Parallèle des anciens et des modernes en ce qui regarde les arts et les sciences avec le Poème du siècle de Louis le grand et une épître en vers sur le génie, réimpression de l'édition de Paris, 1692-1697, 4 vol., Genève, Slatkine reprints 1971.
SAINTE-BEUVE Charles-Augustin, "Mme Dacier", in Causeries du lundi, vol. 9, pp.379-410, Paris, 1854.

Bibliographie
GLILLOT Hubert, La querelle des anciens et des modernes en France, Nancy, 1914
HEPP Nicolas, Homère en France au XVIIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968.
FONTENELLE Bernard Le Bouvier de, "Description de l'empire de la poésie" in oeuvres complètes, tome I , Fayard, 1990.
LETER Michel, "Benserade et les frontières de la traduction poétique (à propos des Métamorphoses d'Ovide en rondeaux)" in Essais critiques sur la littérature 1983-1994, volumex, Paris, L'invendu, 1995.
RIGAULT Henri, Histoire de la querelle des anciens et des modernes, Hachette, 1959.
SANTANGELO Giovanni Saverio, Madame Dacier, una filologa nella crisi, 1672-1720, Roma, Bulzoni, 1984.

 

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Cours 11 : Histoire et poésie chez Victor Hugo

Argument
Dans ce cours, à partir de l'exemple emblématique de la Réponse à un acte d'accusation (Cf. Les contemplations), nous étudierons comment l'autonomie de la poétique par rapport à l'histoire ne signifie par pour autant une épochè de l'histoire en poésie, un repli sur "la poésie de la poésie". Hugo signale ainsi sa dette à l'égard d'Arnim, auteur en 1817 d'un Poesie und Geschichte, qu'Albert Béguin nous fit découvrir dans ce mémorable numéro des Cahiers du Sud consacré au romantisme allemand. A ce propos, il est intéressant de noter qu'Arnim emploie le latinisme Poesie au lieu du germanisme Gedichte. Ainsi, en récusant par anticipation ce verbalisme auquel cèdera Heidegger (Geschichte-Gedichte), il ooeuvre la voie à Hugo.
Nous évaluerons ce refus de la clôture scientifique de l'histoire tant chez le poète que chez l'historien à une époque où, en France, l'histoire comme genre littéraire relève les insuffisances de l'histoire comme science, sous la forme de cette nécessaire union de la "science et de l'art" évoquée par Augustin Thierry dans ses Récits des temps mérovingiens.
Avec Hugo non seulement la poésie "n'est pas seule", mais elle est engagée dans la querelle historique sur les sources de la liberté politique, débat qui partage les libéraux (Guizot, Thierry), lesquels estiment que le rôle émancipateur est dévolu à la bourgeoisie, et les "progressistes", Hugo et Michelet, qui l'attribuent au "peuple".

Corpus de travail avec les étudiants
HUGO Victor, Les châtiments, Poésie/Gallimard, 1977.
HUGO Victor, La légende des siècles, éd. Léon Cellier, Flammarion, 1967.
HUGO Victor, Les chants du crépuscule, Les voix intérieures, Les rayons et les ombres, Poésie/Gallimard, 1970.
HUGO Victor, Les contemplations, Poésie/Gallimard, 1973.
HUGO Victor, Odes et ballades, Poésie/Gallimard, Paris, 1969.
HUGO Victor, Les orientales, Les feuilles d'automne, Poésie/Gallimard, 1981.
HUGO Victor, William Shakespeare, Flammarion, 1973.

Bibliographie
ARNIM Achim von, Poésie et histoire, traduction de Poesie und Geschichte (1817) par Albert Béguin in Cahiers du Sud, numéro spécial consacré au romantisme allemand, Marseille, 1949.
ARISTOTE, Poétique, Les Belles Lettres, 1985.
AmpÈre Jean-Jacques, De l'histoire de la poésie, discours prononcé à l'Athénée de Marseille pour l'ouverture du cours de littérature, le 12 mars 1830, Marseille, Peissat Ainé et Desronchy.
BRUNET Étienne, Le vocabulaire de Victor Hugo, Paris, Genève, Champion, Slatkine, 1980, 3 vol.
GUIZOT François, De la démocratie en France, Bruxelles, Wouters frères, 1849.
GUIZOT François, Essai sur l'histoire de France, Paris, Ladrange, 1836.
GUIZOT François, De l'état des beaux-arts en France et du salon de 1810, Paris, Maradan, 1810.
GUIZOT François, Études sur les beaux-arts en général, Paris, Didier, 1852.
HERDER Johan Gottfried von, Histoire de la poésie des Hébreux (Vom Geist der ebraïschen Poesie), trad. Aloyse Christine de Carlowitz, Paris, Didier, 1845, Paris.
MESCHONNIC Henri, Écrire Hugo, Gallimard, 1977.
MESCHONNIC Henri, Le poème Hugo, in HUGO Victor, oeuvres complètes, édition chronologique publiée par Jean Massin, volume 14, 1868-1870,Paris, Club français du livre, 1970.
MICHELET Jules, Le peuple, Flammarion, 1992.
SCHLEGEL August Wilhelm von, Résumé épigrammatique de l'histoire de nos jours in oeuvres de M. Auguste Guillaume de Schlegel écrites en français et et publiées par Edouard Böcking... volume 1, Leipzig, Weidmann, 1846.
TéNINT Wilhelm, AE Gustaf, MARTINON Philippe, textes réunis et présentés par GRIMAUD Michel, Pour une métrique hugolienne, Paris, Minard, 1992.
CORNULIER Benoit de, GARDES-TAMINE Joëlle, GRIMAUD Michel, Victor Hugo, 2. Linguistique de la strophe et du vers, textes réunis par Benoit de Cornulier, Joëlle Gardes-Tamine et Michel Grimaud, Paris, numéro spécial de "La Revue des lettres modernes", 1988.

 

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Cours 12 : Les poètes balzaciens et la poétique balzacienne

Argument
A travers la figure centrale de Canalis, la relation de Balzac avec la poésie a toujours été envisagée sous l'angle de la critique sociale. On se perd en conjectures biographiques pour savoir si, par le biais de Canalis, Balzac vise Lamartine. La question n'est pas soulevée de la relation de la peinture des poètes - centrale dans la comédie humaine - avec la pratique du poète Balzac dans les années 1819-1823, à l'heure où, sur les décombres de la poésie didactique, on exhume les poésies de Chénier et où triomphent Les méditations poétiques. Au-delà des figures de Lucien de Rubempré, Fulgence Ridal, Canalis, Dinah Pléderfer, il s'agit de savoir si la poétique esquissée par Balzac en 1819-1823 continue à se développer chez le Balzac de la "modernité", envers et contre l'informel romanesque.

Corpus de travail avec les étudiants
BALZAC Honoré de, Essais poétiques, in oeuvres diverses, Pléiade/Gallimard, 1990, pp.1063-1093.
BALZAC Honoré de, Essai sur le génie poétique, in oeuvres diverses, Pléiade/Gallimard, 1990, pp.591-600.
BALZAC Honoré de, Les illusions perdues, Folio/Gallimard, 1972.
BALZAC Honoré de, La muse du département, Folio/Gallimard, 1984.
BALZAC Honoré de, Modeste mignon, Folio/Gallimard, 1982.
BALZAC Honoré de, Mémoire de deux jeunes mariés, éd. Samuel S. de Sacy, préf. Bernard Pingaud, Folio/Gallimard, 1981.
DELILLE Jacques, Les jardins ou l'art d'embellir les paysages, Paris, imprimerie Didot l'aîné, 1782.
DELILLE Jacques, L'homme des champs ou les géorgiques françoises, Strasbourg, imprimerie de Levrault, an viii (1800).
DELILLE Jacques, L'imagination, Paris, Giguet et Michaud, 1806, 2 vol.
CHÉNIER André, Poésies, reproduction en fac-similé de l'édition de Paris, Charpentier, 1872, Poésie/Gallimard, 1994.
CHÉNIER André, "La République des lettres", EEuvres complètes tome ii, Delagrave, 1966, pp. 205-234.
LAMARTINE Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, Nouvelles méditations poétiques, édition de Marius-François Guyard, Poésie/Gallimard, 1981.

Bibliographie
ARRIGON L. J., Les débuts littéraires de Balzac, Paris, 1924.
BODIN Thierry, "Balzac poète" in Année balzacienne, N.S. n°3, 1982, pp.151-166.
CARL Joachim, Unterschungen zur immanenten Poetik Balzacs, Heidelberg, C. Winter, 1979.
CHOLLET Rolland "Du premier Balzac à la mort de Saint-Aubin, quelques remarques sur un lecteur introuvable", in Année balzacienne, N.S. n°8, 1987, pp. 7-20.
GAUTIER Théophile, Honoré de Balzac, textes réunis et présentés par Claude-Marie Senninger, Nizet, 1980.
GUICHARDET Jeannine, Poètes balzaciens, poésie balzacienne, in Studi Francesi, n°37, 1993, pp. 301-311.
PRIOULT André, Balzac avant la comédie humaine (1818-1829), contribution à l'étude de la genèse de son oeuvre, Paris, 1936.
ROBB Graham, Baudelaire, lecteur de Balzac, José Corti, 1988.
TAPPER Birgit, Balzac und die Lyrik : Unterschungen zur Verseinlage in der "Comédie humaine", Stauffenbrung Verlag, 1989.

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Cours 13 : Le mythe littéraire de la critique voltairienne de Leibniz dans le Candide ou l'optimiste et le Poème sur le désastre de Lisbonne

Le Candide de Voltaire est sans doute - dans le chaos pédagogique de l'année préparatoire au bac français - le texte qui résiste le plus à l'approche critique (laquelle est pourtant censée guider toute pratique laïque de la lecture). Sous couleur d'une critique de l'optimisme, le Candide cristallise, pêle-mêle, les clichés contemporains de l'engagement intellectuel. A telle enseigne que ce petit texte - si grand soit-il par ses qualités littéraires - tend à être surdéterminé philosophiquement au profit d'une critique généalogique de la connaissance. Pangloss=Leibniz, certes, mais un Leibniz de seconde main puisque son oeuvre n'a d'autre palimpseste que le texte de l'alter ego poétique du philosophe allemand, le fameux An Essay on Man (1734) de Pope, dont Voltaire, dans sa préface au Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), loue les « vers immortels ». Désaccord sur le fond donc avec l'émule de Leibniz mais admiration de la forme (lesquels sont bien, quoi qu'on en dise à l'école, séparés sans cesse par les "grands auteurs").
Mais la réception scolaire du corpus de la "philosophie optimiste" est encore plus fuyante que celle de Voltaire en raison de l'atomisation de disciplines qui restaient encore unies sous la plume du polémiste. (comment peut-on pédagogiquement soutenir l'étude du Candide en classe de première alors que l'enseignement philosophique n'est dispensé qu'en terminale ?).
La question des mondes possibles annoncée par Leibniz, en 1697, dans l'Opuscule sur l'origine radicale des choses, qui fait du monde existant le meilleur des mondes possibles, est devenue aujourd'hui un topos littéraire, passé à la postérité sous la seule forme - fût-elle géniale - des caricatures de Voltaire, qui ont détourné de Leibniz des générations d'écoliers.
Ces "gallicismes" scolaires sont d'autant plus anachroniques qu'aujourd'hui la sociologie de la littérature reprend sur le mode de la théorie des Possible worlds ce versant fertile de la pensée de Leibniz.
En faisant de Voltaire un écrivain et de Leibniz un théoricien, nos manuels scolaires partagent arbitrairement ce qui n'appartient qu'au domaine de la fiction heuristique. Car c'est une fiction qui clôt nécessairement la Théodicée de Leibniz, et c'est par une fiction que Voltaire se devra de répondre à cet ouvrage, qui se présente déjà lui-même comme une réplique à Bayle. Tout se passe comme si Arouet n'avait pas lu la Théodicée (ce que se gardent de faire également les enseignants qui commentent le Candide en suivant le "livre du professeur"). Car Leibniz ne nie pas le mal mais il lui confère une ampleur heuristique bien supérieure à ce que la fiction voltairienne lui donnera. Pour Leibniz, on le sait, si Dieu a conçu la possibilité du mal, c'est qu'il a créé "le meilleur des mondes possibles". Un monde absolument parfait dans le bien aurait été heuristiquement imparfait dans ses possibilités, la perfection divine se confondant avec celle de l'ars combinatoria auquel rêve Leibniz. La France littéraire, artistique et scolaire, en instrumentalisant Voltaire et Candide, a toujours exclu l'heuristique de son territoire pour la renvoyer aux seuls mathématiques, privilégiant ainsi le commentaire sur la création. La création n'est envisagée par cette étrange pédagogie que causalement comme une critique des sources et non téléologiquement comme fin pratique de la critique littéraire.
Sensible aux approximations généalogiques d'un Foucault, qui assimilait connaissance et pouvoir, l'enseignant préférera montrer du doigt Pan-gloss plutôt que de présenter aux élèves le Ponocratès du Gargantua (fils d'un certain Panta-gruel) dont il est pourtant l'héritier. Alors que Descartes et Fontenelle figurent aux programmes de littérature française, Leibniz, qui écrivit pourtant nombre de ses opuscules en français, n'a pas droit à la même faveur, partageant ainsi le sort d'un Gilles Ménage proscrit de notre histoire littéraire sous l'effet du "Vadius-Pangloss" des Femmes savantes de Molière.
N'en déplaise à Voltaire tout ne va pas « le mieux qu'il soit possible » dans cette heuristique. Car elle agit comme une poétique - Breitinger (Cf. Critische Dichtkunst, 1740) et Bodmer, son illustre préfacier, s'en souviendront à propos de Milton, que Voltaire stigmatise. Dans un livre consacré au possible worlds, Raymond Bradley et Norman Swartz avancent que le monde de la fiction ne doit pas faire l'objet d'un traitement de faveur (« The world of fiction needs no special indulgence » ). Le diagramme cartésien qu'ils donnent des mondes possibles (« Non-Actual Worlds ») divisés en « Physically Impossible » et« Physically Possible », cette dernière catégorie incluant le monde donné (« The Actual World »). Ces catégories ont l'avantage d'admettre la validité heuristique de la fiction. Mais cette reconnaissance n'est que logique et computationnelle. Elle n'est pas modalisée par un sujet ni même actualisée. Dans ce contexte, c'est la poésie qui a vocation heuristique de contester l'antinomie entre fiction et réel (donc entre nécessité et réalité). La métaphore possède alors la vertu d'abolir la division sémiotique entre les catégories logiques du "physiquement possible" et du "physiquement impossible". D'où cette conception de la métaphore chez Reverdy - dont Breton fera le socle de l'image surréaliste - comme ce qui rapproche deux réalités les plus éloignées possibles. Au vu des exemples fournis par Reverdy et par Breton, l'efficacité de la métaphore dépend de sa faculté à réunir heuristiquement les catégories anciennement logiques du physiquement possible et du physiquement impossible. L'image que Char donne de l'imagination peut être assimilée également à un programme (usage d'un infinitif à modalité impérative) d'apprentissage heuristique du virtuel. Sa division des mondes possibles prend tout d'abord la forme d'un partage sémiotique qu'il s'agira d'abolir heuristiquement : « Reconnaître deux sortes de possible : le possible diurne et le possible prohibé. Rendre, s'il se peut, le premier l'égal du second ; les mettre sur la voie royale du fascinant impossible, degré le plus haut du compréhensible ». C'est en suivant le mouvement infinitif d'un procès heuristique que Char peut donc définir l'imagination : « L'imagination consiste à expulser de la réalité plusieurs personnes incomplètes pour, mettant à contribution les puissances magiques et subversives du désir, obtenir leur retour sous la forme d'une présence entièrement satisfaisante. C'est alors l'inextinguible réel incréé. »
Le schème qui permet la réintégration de l'imaginaire dans le réel n'est autre que celui des mondes possibles, pour peu que l'on traduise aujourd'hui, en poétique, par heuristique ce que Leibniz croyait pouvoir obtenir de l'algorithme.

 

Corpus de travail avec les étudiants
LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm, De Arte Combinatoria, in Die philosophischen Schriften 4, Georg Olms Verlag, Hildesheim, New York, 1978, pp. 15-102.
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, Discours touchant la méthode de la certitude et l'art d'inventer, in Die philosophischen Schriften 7, Georg Olms Verlag, Hildesheim/ New York, 1978, pp. 174-183.
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, Nouveaux essais sur l'entendement humain, GF/Flammarion, 1990.
LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm, Opuscule sur l'origine radicale des choses, trad. Martine Etrillard & Pierre-Yves Bourdel, Paris, Hatier, 1989.
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, éd. Jacques Brunschwig, GF/Flammarion, 1969. VOLTAIRE, Candide ou l'optimiste, in Romans et contes, Folio/Gallimard, 1972, pp. 135-234.
VOLTAIRE, Préface au poème sur le désastre de Lisbonne, in oeuvres complètes, tome ix, Paris, Garnier-Frères, libraires-éditeurs, 1877, pp. 465-469.
VOLTAIRE, Poème sur le désastre de Lisbonne, ou examen de cet axiome : Tout est bien in oeuvres complètes, tome ix, Paris, Garnier-Frères, libraires-éditeurs, 1877, pp.470-480.
VOLTAIRE, De l'horrible danger de la lecture, Ambialet, P. Laleure, 1973.

+ Divers manuels scolaires.

Bibliographie
BREITINGER Johann Jakob, Critische Dichtkunst (Traité critique de l'art poétique) préfacé par Johann Jakob Bodmer, Zürich, C. Orell, 1740.
LETER Michel, Pour enterrer l'année Voltaire : Le mythe littéraire de la critique voltairienne de Leibniz dans Candide ou l'optimisme et le Poème sur le désastre de Lisbonne, Essais critiques sur la littérature 1983-1994, volume xxix, Paris, L'invendu, 1994.
LETER Michel, Les clichés littéraires en classe de français : Rabelais et Guillaume d'Ockham, Molière et Ménage, Voltaire et Leibniz, Essais critiques sur la littérature 1983-1994, volume xi, Paris, L'invendu, 1995.
LETER Michel, Leibniz, homme de lettres français, Essais critiques sur la littérature 1983-1994, volume xv, Paris, L'invendu, 1995.
POPE Alexander, An Essay on Man, éd. Maynard Mack, London, New York, Routledge, 1993.

 

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Cours 14 : Les De l'Allemagne de Madame de Staël et de Heine et l'écho rencontré par les controverses esthétiques allemandes dans la littérature française

S'il est aujourd'hui admis que l'on ne peut aborder Coleridge sans avoir lu Kant et Schelling, les frères Schlegel et Jean-Paul (Richter), on ne s'accorde pas encore à envisager la littérature française du premier dix-neuvième siècle sous le prisme de la révolution esthétique du temps. Notre horizon est borné en la matière par Brion et Béguin qui - aussi remarquables que demeurent leurs travaux - s'appuyaient sur une lecture sommaire des traités d'esthétique du tournant du siècle. Dans l'Allemagne romantique, Brion s'en tient à cette remarque sur « la critique kantienne qui, en délimitant les frontières du rationnel, libère et ooeuvre celle de l'irrationnel. "Etre romantique dit Novalis, c'est donner au quotidien un sens élevé, au connu la dignité de l'inconnu, au fini l'éclat de l'infini" ». Le mot est élégant, mais l'histoire des idées supporte rarement les concetti.
Cette réserve tient sans doute au fait que les écrivains français à partir du règne de Charles X se gardent eux-même d'évoquer les sources allemandes. Mais cette inspiration tacite ne peut passer sous silence les efforts de ces médiateurs qui escortent Mme de Staël : Charles Villers, Victor Cousin, Emile Deschamps, et aussi Heine et August Wilhelm Schlegel, que l'on nous autorisera sur ce point à naturaliser.
A partir des jalons posés par Madame de Staël, nous étudierons :
- L'impact sur la littérature française des controverses suscitées par l'esthétique kantienne, de sa défense (Bernhardi et Goethe) à sa critique (Herder, Maimon et A. W. Schlegel).
- Les palimpsestes d'Heine sur Staël (son De l'Allemagne et son De la France) et l'influence du poète-essayiste sur Gautier, Nerval et Baudelaire.

Corpus de travail avec les étudiants
HEINE Henri, De l'Allemagne, Les presses d'aujourd'hui, 1979.
HEINE Henri, De la France, Tel/Gallimard, 1994.
STAËL-HOLSTEIN Anne-Louis-Germaine Necker, Baronne de, De l'Allemagne, 2vol., GF/Flammarion, 1968.

Bibliographie
AZOUVI François, BOUREL Dominique, De Königsberg à Paris : La réception de Kant en France (1788-1804), Paris, Vrin, 1991.
BERNHARDI August Friedrich, Sprachlehre, 2 vol., Berlin, Frölich, 1801-1802, repr. Hildesheim, 1973.
COUSIN Victor, Cours de philosophie professé à la Faculté des lettres pendant l'année 1818 par Monsieur Victor Cousin sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien, Paris, Hachette, 1836.
COUSIN Victor, Du vrai, du beau et du bien, 2e édition augmentée d'un appendice sur l'art français, Paris, Didier, 1854.
COUSIN Victor, De l'instruction publique en Allemagne, en Prusse et en Hollande in oeuvres, vol.3, Hauman, Bruxelles,1841.
DESCHAMPS Émile, oeuvres complètes, reproduction en fac-similé de l'édition de Paris, A. Lemerre, 1872, Slatkine,
HERDER Johan Gottfried von, Histoire de la poésie des Hébreux (Vom Geist der ebraïschen Poesie), trad. Aloyse Christine de Carlowitz, Paris, Didier, 1845.
HERDER Johan Gottfried von, Traité sur l'origine du langage, suivi de L'analyse de Merian et autres textes critiques de Herder, Aubier/Flammarion, 1978.
HERDER Johan Gottfried von, Über die neuere deutsche Litteratur, in Werke, t.1, Munich, Hanser Verlag, 1984, pp. 63-354.
HERDER Johan Gottfried von, Kalligone, 3 vol. 1 - Vom Angehehmen und Schönen, 2 - Von Kunst und Kunstrichterei, 3 - Vom Erhaben und vom Ideal, Frankfurt und Leipzig, 1800,
HERDER Johan Gottfried von, Von Deutscher Art und Kunst in Sämmliche Werke, tome V, Berlin, Weidmann, 1877-1913.
HERDER Johan Gottfried von, Plastik in Sämmliche Werke, tome VIII, Weidmann, Berlin, 1877-1913.
MORITZ Karl Philip, Schriften zur Ästhetik und Poetik, éd. H. J. Schrimpf, Tübingen, Niemeyer, 1962
SCHELLING Friedrich Wilhelm Joseph von, Jugement sur la philosophie de Monsieur Victor Cousin et sur l'état de la philosophie française in Système de l'idéalisme transcendantal, trad. Grimblot, Ladrange, Paris, 1842.
SCHLEIERMACHER Friedrich Daniel Ernst, Vorlesungen über Asthetik (1842), W. de Gruyter, 1974.
SCHLEGEL August Wilhelm von, Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d'Euripide, Paris, Tourneisen, fils, 1807.
SCHLEGEL August Wilhelm von, Vorlesungen über schöne Literatur und Kunst, (1801-1804), J. Minor, Heibronn, Henninger, 1884.
SOLGER Karl Wilhelm Ferdinand, Erwin. Vier Gespräche über das Schöne und die Kunst, (1815), fac-similé de l'éd. de Berlin, Wiegandt, 1907, Munich, W. Fink, 1971.
SOLGER, Vorlesungen über Aesthetik, WBG, Darmstadt, 1980, rééd. F. A. Brockhaus, Leipzig, 1829.
SZONDI Peter, Poetik und Geschichtsphilosophie I, Francfort-sur-le Main, Suhrkamp, 1974.
SZONDI Peter, La poétique de l'idéalisme allemand, Tel, Gallimard, 1991.
TRONCHON Henri, La fortune intellectuelle de Herder en france, bibliographie critique (thèse), Paris, 1920.
VILLERS Charles de Lettre de Charles Villers à Georges Cuvier, Sur une nouvelle théorie du cerveau, par le Docteur Gall; ce viscère étant considéré comme l'organe immédiat des facultés morales,à Metz chez Collignon, Imprimeur-libraire, An X, 1802.
VILLERS Charles de, Rapport fait à la classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institut de France sur l'état actuel de la littérature en Allemagne [sans lieu, ni date].
VILLERS Charles de, Introduction au De l'Allemagne de Madame de Staël, Paris, 1823.
VILLERS Charles de, Kant jugé par l'Institut et observation sur ce jugement, par un disciple de Kant, Paris, Heinrichs, an x (1802).
VILLERS Charles de, Philosophie de Kant, ou principes fondamentaux de la philosophie transcendentale, Metz, Collignon, an ix (1801).
VILLERS Charles de, Sur la manière essentiellement différente dont les poètes français et les Allemands traitent l'amour (1806) in EGGLI Edmond, L'érotique comparée de Charles de Villers, Paris, 1927.

 

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Cours 15 : Louis Lambert et la philosophie balzacienne

Louis Lambert est sans doute le roman que Balzac a le plus remanié. Sa place est unique dans l'ensemble des études philosophiques où Balzac a bien dû se résoudre à le ranger. Sans doute est-ce que le signal romanesque, moins qu'ailleurs encore, fonctionne d'autant que cette fiction philosophique est plus heuristique que réaliste.
La question est de savoir pourquoi le roman après avoir trouvé sa reconnaissance philosophique avec Diderot - suivant l'exemple anglais - acquiert une dimension telle qu'il parvient à absorber la carrière philosophique que Balzac aurait pu embrasser (au lieu de se résoudre à inscrire en abyme son Traité de la volonté dans Louis Lambert).
Pour Félix Davin, (dans sa préface de 1834 ) Le chef-d'oeuvre inconnu, c'était "l'art tuant l'oeuvre" et Louis Lambert, c'est "la pensée tuant le penseur". Ce mysticisme accrédite l'idée que Balzac est inspiré par le mouvement illuministe. Or non seulement l'oeuvre de Balzac, par sa nature fictive, est irréductible à telle ou telle doctrine philosophique mais encore deux objections, sémantique et historique, devraient nous dissuader d'emprunter ce raccourci :
- l'ambivalence du terme illuminisme (qui veut dire tout et son contraire rationnel, en vertu duquel il peut le ranger dans le champ lexical des lumières).
- la prééminence de l'éclectisme de Victor Cousin au moment où Balzac achevait ses études de droit (1818, l'année du cours de Victor Cousin sur le "beau , le bien, le vrai", vraisemblablement suivi par Balzac, est aussi l'année où Balzac écrit son premier essai philosophique). Et ceci indépendamment des critiques ultérieures adressées par le Balzac de la "maturité" à l'égard de l'éclectisme, devenu philosophie officielle de la bougeoisie sous la monarchie de juillet.
- La relation privilégiée que Balzac entretient, par Louis Lambert, avec l'Allemagne. On se souviendra que c'est madamae de Staël qui envoit Louis Lambert au collège de Vendôme, où Balzac eut pour camarade le baron Barchou de Penhoën, premier traducteur de Fichte en langue française, qui suivra la voie ouverte par Villers, Staël et Cousin en publiant (chez Charpentier, éditeur du de la seconde version de Louis Lambert) une remarquable Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel (1836).
Philosophiquement, Balzac est anti-généalogique avant la lettre. Dans Louis Lambert et La peau de chagrin, il oppose le pouvoir et le vouloir au savoir, sans n'entretenir - comme plus tard Nietszche ou Foucault - l'illusion d'une alliance entre les deux, même s'il doit confesser avec Louis Lambert que le savoir conduit, lui aussi, à la mort.

Corpus de travail avec les étudiants
BALZAC Honoré de, Louis Lambert, Folio/Gallimard, 1980.
BALZAC Honoré de, Essais philosophiques (1818-1823) in oeuvres diverses, Gallimard, 1990.
BALZAC Honoré de, La comédie humaine, oeuvres philosophiques, études analytiques, éd. Pierre-Georges Castex, 1980.
BALZAC Honoré de, Sténie ou les erreurs philosophiques, in La comédie humaine, études philosophiques, Pléiade t. x, Gallimard, 1979.
BALZAC Honoré de, Les oeuvres de l'abbé Savaroti, in Op. cit.
BALZAC Honoré de, Clotilde de Lusignan, in Op. cit.
BALZAC Honoré de, La peau de chagrin, in Op. cit.

Bibliographie
BALZAC Honoré de, Hisoire intellectuelle de Louis Lambert, fragment extrait des romans et contes philosophiques, Ch. Gosselin, Paris, 1833.
BALZAC Honoré de, Louis Lambert, suivi de Séraphîta, Nouvelles éditions revues et corrigées, Charpentier, Paris, 1842.
BALZAC Honoré de, notice biographique sur Louis Lambert, (sans lieu ni date).
BARCHOU DE PENHOËN Auguste-Théodore-Hilaire, Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel, 2 vol., Charpentier, 1836.
COUSIN Victor, Cours de philosophie professé à la Faculté des lettres pendant l'année 1818 par Monsieur Victor Cousin sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien, Paris, Hachette, 1836.
EVANS Henri, Louis Lambert et la philosophie de Balzac, Corti, Paris, 1951.
KIEFFER Henri, Balzac et l'Allemagne, Thèse de doctorat, Université de Bretagne, 2 vol., 1959.
NYKROG Per, La pensée de Balzac dans "La comédie humaine", esquisse de quelques concepts clés, Paris, Klincksieck, 1965.

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Cours 16 : Esthétique, poétique et modernité chez Balzac

La réception critique moderne nous a légué deux Balzac : le premier, stigmatisé par Robbe-Grillet comme ce père mythique que le nouveau roman aurait laissé pour mort, et le second, salué par Butor comme « volontairement et systématiquement novateur ». S'il est vrai que la postérité a retenu Baudelaire pour sa définition de la modernité, elle continue de tenir à l'écart son maître Balzac, qui pourtant forgea le néologisme dès 1823.
Pour prendre la mesure de la modernité de Balzac, il s'agira donc aujourd'hui :
1) Esthétiquement, de situer les fictions heuristiques de Balzac par rapport à l'esthétique philosophique allemande et ainsi de vérifier que, chez Balzac (à l'instar d'un Kant, d'un Herder, d'un Schelling, d'un Solger ou d'un Schleiermacher), l'esthétique ne s'oppose pas à la modernité mais la constitue.
2) Poétiquement, de savoir si la pratique poétique, inaugurée par le jeune Balzac en 1819-1823, se poursuit chez le Balzac de la "maturité" (de la modernité), envers et contre l'informel romanesque.
3) Philosophiquement, de comprendre pourquoi et comment Balzac, plutôt que de s'en tenir à l'essai philosophique, choisit d'inscrire en abyme son Traité de la volonté dans Louis Lambert.

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Cours 17 : Discours et valeurs dans les séries Matières de rêves, Génie du lieu, Illustrations, Envois et Avant-goût de Michel Butor

1. Une critique géopoétique du géopolitique.

Chez Butor le discours est ce qui transforme, et ceci indépendamment de toute "typologie des textes" (littéraire, critique, politique...) puisque «Toute invention est une critique» (Cf. La Critique et l'invention in Répertoire III).
Le sérialisme de Michel Butor n'est pas seulement une guématrie du chiffre 5, il se déploie géopoétiquement comme une critique du centre (dont Paris est l'emblème) et plus généralement de la lecture géopolitique du monde. Si d'après Yves Lacoste, directeur de la revue Hérodote, « La géographie sert avant tout à faire la guerre », pour Butor (à l'image du "monde" de Mallarmé, fait "pour aboutir à un beau livre") la géographie sert avant tout à transformer la littérature - en la multipliant par 5, le cinq de Rabelais mais aussi celui des continents.
A entendre Michel Butor, c'est géopoétiquement qu'apparaît motivée sa première série, Le Génie du lieu : «le premier [Génie du lieu] tourne autour de la Méditerranée; le second intitulé Où avec la fantaisie orthographique de barrer l'accent grave, pour que ce soit aussi bien le lieu que l'altérité, tourne autour de l'hémisphère nord; le troisième, Boomerang, imprimé en trois couleurs, commence d'ajouter l'hémisphère sud, etc.».
Le discours de Butor est géographiquement situé. A l'image des noms que l'homme a donné à ses différents domiciles ("Aux Antipodes", "A la frontière", "A l'écart"), la critique sérielle, chez l'auteur, est à la fois une "politique du rythme" et une "politique du sujet" (pour reprendre les notions illustrées par le dernier livre d'Henri Meschonnic) dans la mesure où elle se développe contre les signalisations génériques (poème, narration, etc.) que l'institution littéraire entend imposer à l'énonciation.
Dans Où (Le Génie du lieu 2) Michel Butor, par métamorphoses successives - qui d'ordinaire restent confinées au manuscrit - nous adresse une première invitation à transformer géopoétiquement les énoncés touristiques ou géopolitiques, sous forme d'auto-corrections:«Et plus loin ces crochets blanchissants en triangle - je viens de raturer toute ligne (p.79); «- de supprimer tout un verset, je m'y remets»(p.80); «j'aurais pu employer le mot "rempart"» (p.11); « j'aurais pu employer "jalousies, panneaux" (p.16); «les mots "crâne, incarnat, carapace"» (p.19); « j'aurais pu employer "crayeux, blafards, tours, créneaux"» etc.
Le projet d'une topologie géopoétique transnationale résistant aux cartographies géopolitiques est admirablement suggéré par Michel Butor dans ses Matières de rêves : «La seule solution c'est d'être Homère, c'est-à-dire l'aveugle voyant, donc d'être né dans plusieurs villes et d'errer connaisseur, guide sans patrie, spécialiste des envers et des environs, chantant au passage dans un demi-sommeil Illiades et Odyssées méconnaissables-reconnaissables (Troisième dessous, p.81)».

 

2. A l'infinitif : un dépassement de la division narratologique entre discours et récit.

Dépassant l'opposition temporelle classique des marques de l'énoncé narratif - passé simple et troisième personne pour le récit, présent ou imparfait (présent du passé) et première personne pour le discours - Butor donne ses lettres de noblesse à ce mode impersonnel, l'infinitif, déjà privilégié par Duchamp dans A l'infinitif, sa Boîte blanche et sa Boîte verte.
C'est en effet "à l'infinitif" que Butor élabore les transformations géopoétiques qui font la richesse des Matière de rêves : «Transformer toutes les anciennes casernes en musée d'histoire naturelle», (Troisième dessous, p.55), «Rédiger tous les documents officiels en gascon et angoumoisin» (p.81), «Mettre la cathédrale d'Ajaccio à la place de Notre-Dame de Paris et le château de Niort à celle du Louvre» (p.99), «Transporter le département des Côtes-du-Nord dans l'océan Atlantique à 25 kilomètres à l'ouest de l'île de Sein, tout en maintenant le régime des fleuves par les machineries appropriées» (p.100), «Installer le gouvernement de la France à Guéret, livrer les anciens ministères aux universités spontanées» (p.105), «Recouvrir les villes de Nîmes et du Mans d'un immense dôme pour en faire une seule serre tropicale, observer la transformation des costumes et coutumes» (p.126), «Recopier sur les voies de chemin de fer désaffectées de toute la Normandie et Ile-de-France les tragédies de Racine, un vers par traverse, et les supprimer des bibliothèques et librairies pour qu'on ne puisse plus lire qu'en arpentant les anciens parcours» (p.119).

 

3. Une valeur trouvée : éthique ou esthétique ?

C'est au fil des métamorphoses sérielles de ce discours que la question de la valeur se "trouve" (au sens de "l'objet trouvé" des surréalistes) posée implicitement (ce qui la différencie de l'énonciation philosophique balzacienne, marquée par l'explicite) et qu'elle l'est dans toute son ambivalence.
Dans ses Präludien, le néo-kantien Windelband définit l'axiologie comme la branche de la philosophie pratique qui traite de la constitution des valeurs. Cette notion peut être entendue sur son versant éthique comme sur son versant esthétique, d'autant que Rickert (cette autre figure de l'école de Baden) va jusqu'à subsumer le concept d'axiologie sous celui de culture.
Dans les séries de Michel Butor, la valeur est portée éthiquement, nous l'avons vu, par la critique des frontières géopolitiques. Mais peut-on - puisque la critique est aujourd'hui conviée à repenser la valeur littéraire - considérer cette dimension éthique de la valeur en ignorant sa dimension esthétique ?
La formulation de cette question nous conduira vraisemblablement à redessiner d'autres frontières, réputées hermétiques, et particulièrement celle qui sépare l'esthétique de la poétique.

 

Corpus de travail avec les étudiants

Extraits de :
BUTOR Michel, Le Génie du lieu, Grasset, 1958.
BUTOR Michel, Où (Le Génie du lieu 2) Gallimard, 1971.
BUTOR Michel, Boomerang (Le Génie du lieu 3) Gallimard, 1978.
BUTOR Michel, Transit A, Transit B,Le Génie du lieu 4, Gallimard, 199
BUTOR Michel, Le Génie du lieu 6, [entorse tolérée par Butor au sérialisme du 5, sur une proposition de Michel Leter] éditions Alessandro Vivas, Paris, 1991.
BUTOR Michel, Illustrations, Gallimard, 1964.
BUTOR Michel IllustrationsII, Gallimard, 1969.
BUTOR Michel, Illustrations III, Gallimard, 1973.
BUTOR Michel, Illustrations IV, Gallimard, 1976.
BUTOR Michel, Matière de rêves, Gallimard, 1975.
BUTOR Michel, Second sous-sol (Matière de rêves 2), Gallimard, 1976.
BUTOR Michel, Troisième dessous (Matière de rêves 3), Gallimard, 1977.
BUTOR Michel, Quadruple fond (Matière de rêves 4) Gallimard, 1981.
BUTOR Michel, Mille et un plis (Matière de rêves 5), Gallimard, 1985.
BUTOR Michel, Avant-goût, Ubacs, Rennes, 1984.
BUTOR Michel, Avant-goût 2, Ubacs, Rennes, 1987.
BUTOR Michel, Envois, Gallimard, 1980.
BUTOR Michel, Exprès (Envois 2), Gallimard, 1983.

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Cours 18 : Problèmes de l'énonciation philosophique dans le discours balzacien : Sténie, L'Elixir de longue vie, La Peau de chagrin, Melmoth réconcilié et Louis Lambert

 

1. Hétérogénéité du discours balzacien.

Le cours proposé ne vise pas à instrumentaliser le corpus balzacien au profit de la démonstration que la philosophie serait littéraire ou la littérature philosophique (Literature as Philosophy, Philosophy as Literature, titre de la neuvième rencontre annuelle de l'International Association for Philosophy and Literature ).
Il ne s'agit pas non plus d'aller chercher chez Balzac les marques d'une "philosophie sans philosophe" (formule de Pierre Macherey in A quoi pense la littérature ?)
Car, de même qu'à la faveur du cours de cette année il s'agissait de montrer que le Balzac poète, des années 1819-1823, survit au système énonciatif dit narratif de La Comédie humaine, le Balzac philosophe du Traité de la volonté, l'étudiant suivant les cours de Victor Cousin à la Sorbonne, reste philosophe avec, envers et contre le roman.
Cette année, en nous penchant sur "l'esthétique, la poétique et la modernité chez Balzac", nous avons mis en lumière l'extrême hétérogénéité du discours balzacien. En regard de cette hétérogénéité les notions scolaires de registre et de typologie textuelle tombent (notre thèse étant que Balzac n'a renoncé qu'institutionnellement à être poète ou philosophe, en donnant les gages d'une signalisation romanesque).
Les "romans" de Balzac sont hantés par une énonciation polyphonique, que nous avons déjà tenté de mettre en lumière en analysant les modes de l'inscription en abyme (dans les Illusions perdues) des poèmes de jeunesse d'Honoré de Balzac (notamment la remotivation balzacienne de la stance dans le roman (Cf. le poème A elle) par rapport à sa motivation dans le poème dramatique classique, où elle a pour fonction de couper l'isométrie).
Si Louis Lambert est le roman que Balzac a le plus remanié, c'est sans doute que le signal romanesque fonctionne d'autant moins que cette fiction philosophique est plus heuristique que réaliste. Le choix, dans notre corpus, d'un texte tel que Sténie ou les erreurs philosophiques, qui ne figure pas dans La Comédie humaine, ajoutera la dimension épistolaire à cette problématique de l'énonciation philosophique.

 

2. Démarche adoptée.

L'unité de cette recherche est donnée par l'énonciation qui, justement parce qu'elle est littéraire, occupe une position critique au sein même de la philosophie dans sa résistance discursive à toute épochè (le récit, dans son chronotope, et le poème, dans son rythme, sont mis en posture critique dans la philosophie par l'irréductibilité des embrayeurs et des déictiques de l'énonciation, en tant que "mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation", selon la définition de Benveniste).
La philosophie, en haine du style, se mire dans l'utopie monologique d'une langue transcendantale (au sens noématique de Husserl et non à celui, schématique, de Kant et de Schelling qui concoit schématiquement la mythologie moderne que l'oeuvre de Balzac illustrera - Nous reviendrons sur cet aspect décisif, une fois traduit le passage de la Philosophie de l'art de Schelling qui s'y rapporte). L'énonciation philosophique dans le roman participe de la ruine d'une langue purement philosophique.
Il nous faudra repérer, au sein du corpus choisi, les marques de l'énonciation philosophique (ainsi que de ses tenants et aboutissants pragmatiques). Forts de ces analyses, nous nous demanderons quelles relations ces énoncés entretiennent avec ce que Dominique Maingueneau et Frédéric Cosutta (1995) appellent les "discours constituants" (c'est à dire des discours dont "la prétention [...] est de fonder et de n'être pas fondé".

 

3. Observations sur le corpus choisi.


On aurait pu s'étonner de ne pas trouver Séraphîta dans le corpus des textes proposés mais c'est justement cette vision trop strictement swedenborgienne et mesmériste de Balzac qu'une étude de l'énonciation permet de retoucher.
Pour Félix Davin, (dans sa préface de 1834 ) Le chef-d'oeuvre inconnu, c'était "l'art tuant l'oeuvre" et Louis Lambert, c'est "la pensée tuant le penseur". Ce mysticisme accrédite l'idée que Balzac est inspiré par le mouvement illuministe. Or non seulement l'oeuvre de Balzac, par sa nature fictive, est irréductible à telle ou telle doctrine philosophique mais encore deux objections, sémantique et historique, devraient nous dissuader d'emprunter ce raccourci :
- l'ambivalence du terme illuminisme (qui veut dire tout et son contraire rationnel, en vertu duquel il peut le ranger dans le champ lexical des lumières).
- la prééminence de l'éclectisme de Victor Cousin au moment où Balzac achevait ses études de droit (1818, l'année du cours de Victor Cousin sur le "beau , le bien, le vrai", vraisemblablement suivi par Balzac, est aussi l'année où Balzac écrit son premier essai philosophique). Et ceci indépendamment des critiques ultérieures adressées par le Balzac de la "maturité" à l'égard de l'éclectisme, devenu philosophie officielle de la bourgeoisie sous la monarchie de juillet.
- Dans Louis Lambert, les déictiques, voire même la distribution actantielle des personnages (réelle autant que fictive) sont autant de marques de la relation tacite que Balzac entretient avec l'Allemagne philosophique. On se souvient que c'est Madame de Staël qui envoie Louis Lambert au collège de Vendôme, où Balzac eut pour camarade le baron Barchou de Penhoën (premier traducteur de Fichte en langue française) qui suivra la voie ouverte par Villers, Staël et Cousin en publiant (chez Charpentier, éditeur de la seconde version de Louis Lambert) une remarquable Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel (1836).
Philosophiquement, Balzac est anti-généalogique avant la lettre. Dans Louis Lambert et La Peau de chagrin, il oppose le pouvoir et le vouloir au savoir, sans entretenir - comme plus tard Nietzsche ou Foucault - l'illusion d'une alliance entre les deux, même s'il doit confesser avec Louis Lambert que le savoir conduit, lui aussi, à la mort.

 

Corpus de travail avec les étudiants

BALZAC Honoré de, Louis Lambert, Folio/Gallimard, 1980.
BALZAC Honoré de, La Peau de chagrin, Folio/Gallimard, 1974.
BALZAC Honoré de, L'élixir de longue vie, in La comédie humaine, études philosophiques, Pléiade t. xi, Gallimard, 1980.
BALZAC Honoré de, Melmoth réconcilié, in La comédie humaine, études philosophiques, Pléiade t. x, Gallimard, 1979.
BALZAC Honoré de, Sténie ou les erreurs philosophiques, in La comédie humaine, études philosophiques, in oeuvres diverses, Gallimard, 1990.

 

Bibliographie

BALZAC Honoré de, Essais philosophiques (1818-1823) in oeuvres diverses, Gallimard, 1990.
BALZAC Honoré de, Histoire intellectuelle de Louis Lambert, fragment extrait des romans et contes philosophiques, Ch. Gosselin, Paris, 1833.
BALZAC Honoré de, Louis Lambert, suivi de Séraphîta, Nouvelles éditions revues et corrigées, Charpentier, Paris, 1842.
BALZAC Honoré de, notice biographique sur Louis Lambert, (sans lieu ni date).
BARCHOU DE PENHOËN Auguste-Théodore-Hilaire, Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel, 2 vol., Charpentier, 1836.
COSSUTTA Frédéric, Dominique MAINGUENEAU, L'analyse des discours constituants, in Langages n°117, mars 1995, pp.112-125.
COSSUTTA Frédéric, Eléments pour la lecture des textes philosophiques, Paris, Bordas, 1989.
COUSIN Victor, Cours de philosophie professé à la Faculté des lettres pendant l'année 1818 par Monsieur Victor Cousin sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien, Paris, Hachette, 1836.
EVANS Henri, Louis Lambert et la philosophie de Balzac, Corti, Paris, 1951.
KIEFFER Henri, Balzac et l'Allemagne, Thèse de doctorat, Université de Bretagne, 2 vol., 1959.
MACHEREY Pierre, A quoi pense la littérature ?, PUF, Paris, 1990.
MARSHALL Donald G (éditeur) Literature as Philosophy, Philosophy as Literature, actes des neuvième rencontres annuelles de l'International Association for Philosophy and Literature, University of Iowa Press, Iowa City, 1987.
NYKROG Per, La pensée de Balzac dans "La comédie humaine", esquisse de quelques concepts clés, Paris, Klincksieck, 1965.
SCHELLING Friedrich Wilhelm Joseph von, Proposition 22 de la Philosophie de l'art , traduite par Michel Leter, précédée de Du schématisme en art ou de Schelling à Balzac, par Michel Leter, L'invendu, octobre 1995.

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