Cours 4 : Axiologie esthétique du
"Chef-d'oeuvre inconnu" de Balzac
Argument Dans ses Präludien, le
néo-kantien Windelband définit l'axiologie comme
la branche de la philosophie pratique qui traite de la constitution
des valeurs. Cette notion peut être entendue sur son versant
éthique comme sur son versant esthétique, d'autant
que Rickert (cette autre figure de l'école de Baden) va
jusqu'à subsumer le concept d'axiologie sous celui de
culture.
Sous la restauration, tandis que Victor Cousin tentait vainement
- au nom de l'éclectisme - cette synthèse entre
raison pratique et jugement de goût (notions que Kant distingue
encore, non sans hésitations), Balzac inscrivait déjà
son esthétique dans une logique générale
des valeurs. La fiction heuristique du Chef-d'oeuvre inconnu
en constitue la trace la plus lisible.
Si nous ne saurions mesurer la portée de l'axiologie balzacienne
à l'aune de la critique des sources, il n'est sans doute
pas innocent de noter - dans le bouillonnement des esthétiques
qui marqua la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle
- que Schleiermacher tente une synthèse comparable dans
ces leçons d'esthétiques (Vorlesungen über
Aesthetik, publiées en 1842).
Avec les avant-gardes du XXe siècle, c'est de la valeur
axiologique que se déduira la valeur esthétique,
dans la mesure où l'art abstrait est fondé également
sur "la recherche de l'absolu". Cette imitation de
l'absolu - littéralement ce suprématisme - ne peut
conduire qu'à la peinture non-objective, qui s'assume
comme telle alors que maître Frenhofer ne peut historiquement
en avoir qu'une conscience malheureuse. Il faut comprendre Le
chef-d'oeuvre inconnu comme une critique de l'imitation de l'absolu
dans l'objectif et non pas comme une critique définitive
de la recherche de l'absolu dans l'art. Dans la figure de l'échec
de maître Frenhofer, c'est en déplaçant la
recherche de l'absolu hors du domaine de l'ut pictura poesis
que Le chef-d'oeuvre inconnu annonce l'abstraction picturale.
Enfin, cette critique de l'absolu dans la figuration (de l'axiologie
éthique dans l'esthétique), parce qu'elle est littéraire,
engage aussi le langage comme critique de ce que Valéry
appellera la fiducia, qui désigne l'adhésion spontanée
que nous donnons aux mots, abstractions creuses, monnaies dévaluées.
L'absolu étant explicitement chez Balzac (implicitement
chez Marx?) cet espace fiduciaire pur où la valeur est
saisie en soi indépendamment de l'usage et de l'échange
(de la parole et de son commerce). Ainsi l'itinéraire
des poètes Lucien de Rubempré et Canalis (mais
aussi ceux du peintre Schinner et celui du Sculpteur Steinbock)
peut-il apparaître comme le passage de l'absolu de la fiducia
au fantastique quotidien du monde monétarisé. Seul
le peintre Joseph Bridau, figure de Delacroix, échappe
à ce destin, or ce dernier nous conduit à Baudelaire,
lecteur de Balzac, qui déjouera la nostalgie légitimiste
du roman par le poème en prose de la vie moderne.
Corpus de travail avec les étudiants
BALZAC Honoré de, Le chef d'oeuvre inconnu, Gambara, Massimilla
Doni, GF/Flammarion, 1981.
BALZAC Honoré de, La cousine Bette, éd. Pierre
Barbéris, Folio/Gallimard, 1972.
BALZAC Honoré de, Les illusions perdues, Folio/Gallimard,
1972.
BALZAC Honoré de, La recherche de l'absolu, intr. et notes
de Nadine Satiat, Flammarion, 1993.
BALZAC Honoré de, Les secrets de la princesse de Cadignan,
et autres études de femmes, éd. Samuel Sylvestre
de Sacy, Gallimard, 1981.
Bibliographie
DIDI-HUBERMAN Georges, La peinture incarnée, Minuit, 1985.
EIGELDINGER Marc, La philosophie de l'art chez Balzac, Genève,
P. Cailler,1957.
LAUBRIET Pierre, L'intelligence de l'art chez Balzac : d'une
esthétique balzacienne, reproduction en fac.-sim. de l'édition
de Paris, Didier, 1961, Genève, Slatkine, 1980.
MAHIEU Raymond, LERICHE Françoise, DAVID Eric, L'oeuvre
d'art : Honoré de Balzac, "Le chef d'oeuvre inconnu,
"Gambara", "Massimilla Doni" ; Marcel Proust
"A l'ombre des jeunes filles en fleur..." ; Rainer
Maria Rilke "Lettres à un jeune poète, Belin,
1993.
NISHIO Osamu, La signification du cénacle dans "La
comédie humaine" de Balzac, Tokyo, 1980.
PITT-RIVERS Françoise, Balzac et l'art, éd. du
Chêne, 1993.
PARIS Jean, Balzac, Balland, 1986.
RICKERT Heinrich, Die Grenzen der naturwissenschaftlichen Begriffsbildung,
eine logische Einleitung in die historischen Wissenschaften,
Tübingen, J. C. B. Mohr, , 1902.
RICKERT Heinrich, Kulturwissenschaft und Naturwissenschaft, Tübingen,
J. C. B. Mohr, 1910.
ROBB Graham, Baudelaire, lecteur de Balzac, José Corti,
1988.
WINDELBAND Wilhelm, Präluden, Aufsätze und Reden zur
Philosophie und ihre Geschichte, Fribourg/Tübingen, 1884.
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Cours 5 : Recherches sur les sources classiques
de la "modernité" baudelairienne
Argument Valéry estimait que
"l'essence du classicisme est de venir après".
A en juger par l'oeuvre de Baudelaire, il n'est pas certain que
la modernité esthétique entretienne la même
relation chronologique avec le classicisme. Tout indique plutôt,
chez le père de la notion de modernité (le néologisme
proprement dit est de Balzac), que les deux coexistent. Déjà
Delacroix- à qui Baudelaire doit tant - dans son Journal,
tient que le beau naît d'une synthèse entre sa nécessaire
éternité et sa contingente actualité. Delacroix
est ce lecteur de Boileau qui (on songe à Musset) s'essaye
à réconcilier Racine et Shakespeare, Mozart et
Beethoven, Raphaël et Michel-Ange.
Cette modernité apparaît encore et toujours sous
son avatar chrétien en ce que la relation entre l'esprit
classique du beau et son corps historique (romantique) est perçu
en tant que chute du premier dans le second. En esthétique,
Baudelaire se montrera plus inactuel qu'avant-coureur puisqu'il
n'illustre la sensualité poétique moderne que 70
ans après la proclamation par Herder du refus de la primauté
sans partage de la vue en esthétique (Cf. Plastik, 1778).
En outre, les deux volets de la modernité baudelairienne
correspondent aux deux moments du célébrissime
ouvrage qui fonda le classicisme de Weimar : Histoire de l'art
de l'antiquité de Winckelmann. La première partie
traite de l'art "selon son essence", l'autre de l'art
grec selon "les circonstances extérieures du temps".
Les formules emblématiques employées par Baudelaire
dans Le peintre de la vie moderne : « Le beau est fait
d'un élément éternel, invariable, dont la
quantité est excessivement difficile à déterminer,
et d'un élément relatif, circonstanciel, qui sera,
si l'on veut, tour à tour ou tout ensemble, l'époque,
la mode, la morale, la passion [...]La modernité, c'est
le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de
l'art, dont l'autre moitié est l'éternel immuable.
» peuvent être lues comme un résumé
de l'oeuvre maîtresse de Winckelmann.
Aux sources de cette modernité, il est une autre esthétique
- même si rien n'indique, sous réserve de recherches
plus poussées, qu'elle ait directement influencé
Baudelaire - celle de Leopoldo Cicognara. Inspiré fondamentalement
par l'esthétique néo-classique Winckelmann, Cicognara
est un des tout premiers théoriciens de l'esthétique
à subir l'influence kantienne. Dans son analyse du concept
de beau, Cicognara distingue : un beau relatif (subordonné
au sentiment subjectif, aux murs, à la mode, etc.), un
beau absolu (qui est propre aux formes symétriques et
proportionnelles), un beau idéal (union de toutes les
perfections et qui n'a pas de modèle dans la nature) d'avec
le sublime, dont il distingue trois genres à l'instar
de Kant.
Grand poète, Baudelaire, en dernière analyse, n'a
pas d'originalité esthétique autre que celle que
lui confère l'usage du mot modernité qu'il emprunte
à Balzac (et que Gautier reprit également). Si
son esthétique, dont Delacroix est l'intercesseur, est
moderne, il le doit à Herder. Mais s'il fallait la définir
plus précisément, nous dirions qu'elle est classiquement
moderne par Cicognara et Winckelmann.
Nous nous interrogerons sur ce formidable décalage entre
des esthétiques conçues à la fin du XVIIIe
et leurs illustrations littéraires qui sont venues trop
tard pour s'inscrire dans le débat esthétique.
Bien loin de déboucher sur une postmodernité, c'est
à une refondation de la modernité que cette mise
à l'épreuve critique pourrait bien nous conduire.
Corpus de travail avec les étudiants
BAUDELAIRE Charles, Curiosités esthétiques : l'art
romantique et autres oeuvres critiques, Garnier, 1963.
Bibliographie
CICOGNARA Leopoldo, Del Bello, Firenze, Molini, Landi, 1808.
HERDER, Plastik (1778) in Herders sämmtliche Werke, vol.viii,
Berlin, Weidmann, 1877-1913.
LETER Michel, Baudelaire et Cicognara : observations sur les
sources de la « modernité » baudelairienne,
Essais critiques sur la littérature 1983-1994, volume
xxvi, L'invendu, Paris, 1995.
MESCHONNIC Henri, Modernité, modernité, Lagrasse,
Verdier, 1988.
WINCKELMANN Johann Joachim, Histoire de l'art chez les anciens,
reproduction en fac-similé de l'édition d'Amsterdam,
1766, Minkoff, 1972.
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Cours 6 : Le peintre Elstir et le musicien
Vinteuil : l'esthétique éponymique de Marcel Proust
Argument Il n'est pas certain que la
critique ait à gagner en reconstruisant Whistler, Turner
ou Renoir dans Elstir, et moins encore Franck ou Debussy dans
Vinteuil. Il est également hasardeux d'utiliser ces "reconnaissances"
pour tenter d'accréditer l'idée que Marcel Proust,
le moderne, fut en phase avec les avant-gardes picturales et
musicales de son temps.
Car c'est par des moyens proprement romanesques que cette esthétique
est traduite : ce qui, pour la réminiscence proustienne,
voulait la métaphore et la comparaison, voudra l'éponymie
pour les personnages de "la Recherche".
L'éponymie est l'équivalent - pour un personnage
(réel ou imaginaire) - de la métonymie de la partie
pour le tout.
Ce qui fait la modernité de l'esthétique de Proust,
en deçà même de la vision du narrateur, c'est
qu'Elstir et Vinteuil sont les fruits d'une métonymie
du créateur pour la création et non du personnage
pour le type.
Corpus de travail avec les étudiants
PROUST Marcel, A l'ombre des jeunes filles en fleur, Folio/Gallimard,
1972.
PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, Folio/Gallimard,
1976.
PROUST Marcel, Le temps retrouvé, Folio/Gallimard, 1972.
Bibliographie
BOYER Philippe, Le petit pan de mur jaune : sur Proust, Seuil,
1987.
FISER Emeric, L'esthétique de Marcel Proust, Slatkine
Reprints, 1990,
HENRY Anne, Marcel Proust, théorie pour une esthétique,
Klincksieck, 1983.
LE PICHON Yann, Le musée retrouvé de Marcel Proust,
Stock, 1990.
PLACELLA SOMMELLA Paola, Marcel Proust e i movimenti d'avanguardia,
Roma, Bulzoni, 1982
VENISHI Taeko, Le style de Proust et la peinture, Sedes, 1988.
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Cours 7 : Pierre Reverdy et les peintres
cubistes
Argument Si on ne peut parler de formes
poétiques autrement que dans le registre de la métaphore,
il reste que les poètes modernes élisent volontiers
domicile dans le monde des formes en rêvant d'une impossible
symbiose de leurs créations avec celles des artistes.
A la faveur de ce cours, nous tenterons de mesurer l'impact de
la présence d'un poète tel que Reverdy dans la
révolution plastique du premier vingtième siècle.
Corpus de travail avec les étudiants
REVERDY Pierre, Notes éternelles du présent, écrits
sur l'art, 1923-1960, in oeuvres complètes, vol. 14, Flammarion,
1989.
REVERDY Pierre, Plupart du temps (1915-1922), préface
d'Hubert Juin, Poésie/Gallimard, 1989.
REVERDY Pierre, Au soleil du plafond et autres poèmes,
Flammarion, 1980,
REVERDY Pierre, Sources du vent, précédé
de La balle au bond, préface de Michel Deguy, Poésie/Gallimard,
1971.
Bibliographie
APOLLINAIRE Guillaume, Les peintres cubistes : méditations
esthétiques, Paris, Herman, 1980.
LÉGER Fernand, 55 oeuvres, 1913-1953, Exp. Galerie Louise
Leiris, 2 avril-premier juin 1985, texte de Pierre Reverdy, contient
"Pour tenir tête à son époque",
texte de Pierre Reverdy publié pour la première
fois dans le n° d'octobre-nov.-déc. 1955 de "derrière
le miroir"(éd. Galerie Maeght).
LETER Michel, Peut-on parler de formes poétiques ? in
Essais critiques sur la littérature,1983-1994, volume
xxviii, Paris, L'invendu, 1995.
LINDE Maria Andina von der, Pierre Reverdy, poésie nouvelle
et peinture cubiste, théorie et pratique, [sans lieu],
[sans date], 1988.
MALDINEY Henri, Regard, parole, espace, L'âge d'homme,1973.
PAULHAN Jean, Braque, le patron, Gallimard, 1987.
PICASSO Pablo, 26 reproductions de peintures et dessins précédées
d'une étude critique par Pierre Reverdy, Paris, éd.
de la Nouvelle revue française, 1924.
ROUBAUD Jacques, "Poétique comme exploration des
changements de formes", in Biologies et prosodies, Collectif
change, UGE, 10/18, 1975, pp.74-93.
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Cours 8 : Sur les peintures croisées
de Michel Butor
Argument Le discours esthétique
de Michel Butor n'est pas tant sur la peinture que dans la peinture.
Ce qui ailleurs est commentaire, collaboration, voire illustration
(Butor y cède, par antiphrase, dans la série du
même nom, dont celle, plus récente, des Avant-goût
déplace encore l'inachèvement) donne lieu chez
Butor à de véritables "oeuvres croisées".
A partir de l'étude des transformations - en cours - du
Pique-nique au pied des pyramides réalisé dans
et par la série Egypte-Bleu d'Henri Maccheroni, l'examen
de cette pratique nous préparera à une relecture
des années 70, qui resteront sans doute pour avoir été
le moment d'une synthèse unique entre écriture
et peinture (à la faveur notamment des travaux des groupes
Textruction, INterVENTION, du collectif Génération
et de la galerie 30, auxquels Butor, comme compagnon ou mentor
- en sa constellation - n'est pas étranger).
'
Corpus de travail avec les étudiants
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in revue Métafore
n°1, 1986, La Casa Usher, Florence, pp.7-9.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in Échanges,
Carnets 1986, Z'éditions, Nice, 1991, pp. 71-77.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in BUTOR Michel
et MACCHERONI Henri, oeuvres croisées/Opere incrociate,
La Casa Usher, Florence, 1986, pp. 24-26.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides avec repères
venus du premier Génie du lieu, in Le Génie du
lieu 6, éditions Alessandro Vivas, Paris, 1991, pp. 30-42.
BUTOR Michel, Pique-nique au pied des pyramides, in Transit,
Le Génie du lieu 4, Gallimard, Paris, 1992.
Bibliographie
BUTOR Michel, Les mots dans la peinture, Skira/Flammarion, Genève/Paris,
1969.
BUTOR Michel, Requête aux peintres sculpteurs & cie,
Crest, La Sétérée, 1986.
BUTOR Michel, Vanité, conversation dans les Alpes-Maritimes
(avec Henri Maccheroni et Michel Launay).
BUTOR Michel et SICARD Michel, Problèmes de l'art contemporain
à partir des travaux d'Henri Maccheroni, Bourgois, 1983.
LETER Michel, Ce que nous attendons de Michel Butor et Henri
Maccheroni, in Le Génie du lieu 6, éditions Alessandro
Vivas, Paris, 1991, pp.66-79.
MONTICELLI Raphaël, Approche du continent Butor in Échanges,
Carnets 1986, Z'éditions, Nice, 1991, pp. 9-27.
[COLLECTIF] Catalogue de l'exposition les écritures dans
la peinture, 2 volumes, Centre National des Arts Plastiques,
Villa Arson, Nice, 1984.
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Cours 9 : Esthétiques de l'épigramme
au XVIIIe siècle, Ecouchard Lebrun et Piron
Argument Pourquoi l'épigramme,
forme mineure du classicisme, a-t-elle pu connaître sa
période d'efflorescence à des époques majeures
(monarchie absolue, Révolution, Empire) ? Comment d'un
point de vue sociocritique cette pratique peut-elle posséder
une valeur esthétique en ce qu'elle milite tacitement
contre l'esthétisation du politique ?
Nous tenterons de répondre à ces deux questions
en suivant le parcourt de celui qui demeure - sans doute avec
Alexis Piron - notre meilleur épigrammatiste.
Corpus de travail avec les étudiants
LEBRUN Ponce-Denis Ecouchard, épigrammes, éditées
et présentées par Michel Leter, Paris, L'invendu,
1995.
Bibliographie
COLLETET Guillaume, L'art poétique I, Traitté de
l'épigramme et traitté du sonnet, texte établi
et introduction par P. A. Jannini, Genève, Droz, 1965.
FUCHS Frederich, "Beitrag zur Geschichte des französischen
Epigramms 1520-1800", in Das Epigramm, zur Geschichte einer
inschriftlichen un literarischen Gattung, Darmstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, 1969, pp. 235-283.
LE BRUN Antoine-Louis, De l'épigramme, in oeuvres diverses
en vers et en prose, Paris, Prault père, 1736.
LETER Michel, "Peut-on parler de formes poétiques
?" in Essais critiques sur la littérature 1984-1994,
volume xxviii, Paris, L'invendu, 1995.
PELETIER Jacques, "De l'épigramme" Art poétique,
pp. 292-293, in Traités de poétique et de rhétorique
de la Renaissance, Le livre de poche classique, Librairie générale
française, 1990.
SEBILLET Thomas, "De l'épigramme, et de ses usages
et différences" Art poétique françois,
pp. 101-107, in Traités de poétique et de rhétorique
de la Renaissance, Le livre de poche classique, Librairie générale
française, 1990.
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Cours 10 : Traduction, histoire, poésie
: recherches sur les termes de la querelle des anciens et des
modernes
Argument Au-delà de la querelle
d'époque et des stratégies politico-littéraires
qui commandèrent la querelle des anciens et des modernes,
ses enjeux furent avant tout philologiques. C'est dans cette
optique qu'il faut comprendre l'intervention décisive
de Madame Dacier, traductrice émérite, qui ne consentit
à la polémique littéraire que pour défendre
Homère, dans son Des causes de la corruption du goût.
Le titre de l'ouvrage sonne comme une réaction et alimente
au demeurant l'antienne du bon goût dressé contre
la décadence. En fait ce que Dacier vise à travers
le "moderne" La Motte - traducteur incident d'Homère
- c'est l'économie chez ceux que l'on dit modernes des
données philologiques. En cela la position paradoxale
des "anciens", loin d'être réactionnaire,
annonce les conquêtes philologiques de la fin du XVIIIe
siècle. L'intérêt du XIXe siècle,
par l'intermédiaire de Sainte-Beuve, pour Madame Dacier,
prend ainsi tout son relief.
Corpus de travail avec les étudiants
DACIER Anne, Des causes de la corruption du goût, réédition
en fac-similé de l'édition de Paris, 1714, Genève,
Slatkine, 1970.
DACIER Anne, Homère défendu... ou suite des causes
de la corruption du goût, réédition en fac-similé
de l'édition de Paris, 1716, Genève, Slatkine,
1971.
FÉNELON François de Pons de Salignac, Lettres à
l'Académie, Paris, Lefebvre, 1716.
FÉNELON François de Pons de Salignac et LA MOTTE
Antoine Houdar de, Lettres de Fénelon et de La Motte sur
Homère et les anciens, Paris, 1874.
FONTENELLE Bernard Le Bouvier de, "Digressions sur les anciens
et les modernes", in oeuvres complètes, tome II,
Fayard, 1991, pp.401-431.
LA MOTTE Antoine Houdar de, Traduction de L'illiade avec un discours
sur Homère, suivi de La critique, ode et de L'indien et
le soleil, fable, Paris, 1714.
perrault Charles de, Parallèle des anciens et des modernes
en ce qui regarde les arts et les sciences avec le Poème
du siècle de Louis le grand et une épître
en vers sur le génie, réimpression de l'édition
de Paris, 1692-1697, 4 vol., Genève, Slatkine reprints
1971.
SAINTE-BEUVE Charles-Augustin, "Mme Dacier", in Causeries
du lundi, vol. 9, pp.379-410, Paris, 1854.
Bibliographie
GLILLOT Hubert, La querelle des anciens et des modernes en France,
Nancy, 1914
HEPP Nicolas, Homère en France au XVIIIe siècle,
Paris, Klincksieck, 1968.
FONTENELLE Bernard Le Bouvier de, "Description de l'empire
de la poésie" in oeuvres complètes, tome I
, Fayard, 1990.
LETER Michel, "Benserade et les frontières de la
traduction poétique (à propos des Métamorphoses
d'Ovide en rondeaux)" in Essais critiques sur la littérature
1983-1994, volumex, Paris, L'invendu, 1995.
RIGAULT Henri, Histoire de la querelle des anciens et des modernes,
Hachette, 1959.
SANTANGELO Giovanni Saverio, Madame Dacier, una filologa nella
crisi, 1672-1720, Roma, Bulzoni, 1984.
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Cours 11 : Histoire et poésie chez
Victor Hugo
Argument Dans ce cours, à partir
de l'exemple emblématique de la Réponse à
un acte d'accusation (Cf. Les contemplations), nous étudierons
comment l'autonomie de la poétique par rapport à
l'histoire ne signifie par pour autant une épochè
de l'histoire en poésie, un repli sur "la poésie
de la poésie". Hugo signale ainsi sa dette à
l'égard d'Arnim, auteur en 1817 d'un Poesie und Geschichte,
qu'Albert Béguin nous fit découvrir dans ce mémorable
numéro des Cahiers du Sud consacré au romantisme
allemand. A ce propos, il est intéressant de noter qu'Arnim
emploie le latinisme Poesie au lieu du germanisme Gedichte. Ainsi,
en récusant par anticipation ce verbalisme auquel cèdera
Heidegger (Geschichte-Gedichte), il ooeuvre la voie à
Hugo.
Nous évaluerons ce refus de la clôture scientifique
de l'histoire tant chez le poète que chez l'historien
à une époque où, en France, l'histoire comme
genre littéraire relève les insuffisances de l'histoire
comme science, sous la forme de cette nécessaire union
de la "science et de l'art" évoquée par
Augustin Thierry dans ses Récits des temps mérovingiens.
Avec Hugo non seulement la poésie "n'est pas seule",
mais elle est engagée dans la querelle historique sur
les sources de la liberté politique, débat qui
partage les libéraux (Guizot, Thierry), lesquels estiment
que le rôle émancipateur est dévolu à
la bourgeoisie, et les "progressistes", Hugo et Michelet,
qui l'attribuent au "peuple".
Corpus de travail avec les étudiants
HUGO Victor, Les châtiments, Poésie/Gallimard, 1977.
HUGO Victor, La légende des siècles, éd.
Léon Cellier, Flammarion, 1967.
HUGO Victor, Les chants du crépuscule, Les voix intérieures,
Les rayons et les ombres, Poésie/Gallimard, 1970.
HUGO Victor, Les contemplations, Poésie/Gallimard, 1973.
HUGO Victor, Odes et ballades, Poésie/Gallimard, Paris,
1969.
HUGO Victor, Les orientales, Les feuilles d'automne, Poésie/Gallimard,
1981.
HUGO Victor, William Shakespeare, Flammarion, 1973.
Bibliographie
ARNIM Achim von, Poésie et histoire, traduction de Poesie
und Geschichte (1817) par Albert Béguin in Cahiers du
Sud, numéro spécial consacré au romantisme
allemand, Marseille, 1949.
ARISTOTE, Poétique, Les Belles Lettres, 1985.
AmpÈre Jean-Jacques, De l'histoire de la poésie,
discours prononcé à l'Athénée de
Marseille pour l'ouverture du cours de littérature, le
12 mars 1830, Marseille, Peissat Ainé et Desronchy.
BRUNET Étienne, Le vocabulaire de Victor Hugo, Paris,
Genève, Champion, Slatkine, 1980, 3 vol.
GUIZOT François, De la démocratie en France, Bruxelles,
Wouters frères, 1849.
GUIZOT François, Essai sur l'histoire de France, Paris,
Ladrange, 1836.
GUIZOT François, De l'état des beaux-arts en France
et du salon de 1810, Paris, Maradan, 1810.
GUIZOT François, Études sur les beaux-arts en général,
Paris, Didier, 1852.
HERDER Johan Gottfried von, Histoire de la poésie des
Hébreux (Vom Geist der ebraïschen Poesie), trad.
Aloyse Christine de Carlowitz, Paris, Didier, 1845, Paris.
MESCHONNIC Henri, Écrire Hugo, Gallimard, 1977.
MESCHONNIC Henri, Le poème Hugo, in HUGO Victor, oeuvres
complètes, édition chronologique publiée
par Jean Massin, volume 14, 1868-1870,Paris, Club français
du livre, 1970.
MICHELET Jules, Le peuple, Flammarion, 1992.
SCHLEGEL August Wilhelm von, Résumé épigrammatique
de l'histoire de nos jours in oeuvres de M. Auguste Guillaume
de Schlegel écrites en français et et publiées
par Edouard Böcking... volume 1, Leipzig, Weidmann, 1846.
TéNINT Wilhelm, AE Gustaf, MARTINON Philippe, textes réunis
et présentés par GRIMAUD Michel, Pour une métrique
hugolienne, Paris, Minard, 1992.
CORNULIER Benoit de, GARDES-TAMINE Joëlle, GRIMAUD Michel,
Victor Hugo, 2. Linguistique de la strophe et du vers, textes
réunis par Benoit de Cornulier, Joëlle Gardes-Tamine
et Michel Grimaud, Paris, numéro spécial de "La
Revue des lettres modernes", 1988.
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sommaire
Cours 12 : Les poètes balzaciens
et la poétique balzacienne
Argument A travers la figure centrale
de Canalis, la relation de Balzac avec la poésie a toujours
été envisagée sous l'angle de la critique
sociale. On se perd en conjectures biographiques pour savoir
si, par le biais de Canalis, Balzac vise Lamartine. La question
n'est pas soulevée de la relation de la peinture des poètes
- centrale dans la comédie humaine - avec la pratique
du poète Balzac dans les années 1819-1823, à
l'heure où, sur les décombres de la poésie
didactique, on exhume les poésies de Chénier et
où triomphent Les méditations poétiques.
Au-delà des figures de Lucien de Rubempré, Fulgence
Ridal, Canalis, Dinah Pléderfer, il s'agit de savoir si
la poétique esquissée par Balzac en 1819-1823 continue
à se développer chez le Balzac de la "modernité",
envers et contre l'informel romanesque.
Corpus de travail avec les étudiants
BALZAC Honoré de, Essais poétiques, in oeuvres
diverses, Pléiade/Gallimard, 1990, pp.1063-1093.
BALZAC Honoré de, Essai sur le génie poétique,
in oeuvres diverses, Pléiade/Gallimard, 1990, pp.591-600.
BALZAC Honoré de, Les illusions perdues, Folio/Gallimard,
1972.
BALZAC Honoré de, La muse du département, Folio/Gallimard,
1984.
BALZAC Honoré de, Modeste mignon, Folio/Gallimard, 1982.
BALZAC Honoré de, Mémoire de deux jeunes mariés,
éd. Samuel S. de Sacy, préf. Bernard Pingaud, Folio/Gallimard,
1981.
DELILLE Jacques, Les jardins ou l'art d'embellir les paysages,
Paris, imprimerie Didot l'aîné, 1782.
DELILLE Jacques, L'homme des champs ou les géorgiques
françoises, Strasbourg, imprimerie de Levrault, an viii
(1800).
DELILLE Jacques, L'imagination, Paris, Giguet et Michaud, 1806,
2 vol.
CHÉNIER André, Poésies, reproduction en
fac-similé de l'édition de Paris, Charpentier,
1872, Poésie/Gallimard, 1994.
CHÉNIER André, "La République des lettres",
EEuvres complètes tome ii, Delagrave, 1966, pp. 205-234.
LAMARTINE Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques,
Nouvelles méditations poétiques, édition
de Marius-François Guyard, Poésie/Gallimard, 1981.
Bibliographie
ARRIGON L. J., Les débuts littéraires de Balzac,
Paris, 1924.
BODIN Thierry, "Balzac poète" in Année
balzacienne, N.S. n°3, 1982, pp.151-166.
CARL Joachim, Unterschungen zur immanenten Poetik Balzacs, Heidelberg,
C. Winter, 1979.
CHOLLET Rolland "Du premier Balzac à la mort de Saint-Aubin,
quelques remarques sur un lecteur introuvable", in Année
balzacienne, N.S. n°8, 1987, pp. 7-20.
GAUTIER Théophile, Honoré de Balzac, textes réunis
et présentés par Claude-Marie Senninger, Nizet,
1980.
GUICHARDET Jeannine, Poètes balzaciens, poésie
balzacienne, in Studi Francesi, n°37, 1993, pp. 301-311.
PRIOULT André, Balzac avant la comédie humaine
(1818-1829), contribution à l'étude de la genèse
de son oeuvre, Paris, 1936.
ROBB Graham, Baudelaire, lecteur de Balzac, José Corti,
1988.
TAPPER Birgit, Balzac und die Lyrik : Unterschungen zur Verseinlage
in der "Comédie humaine", Stauffenbrung Verlag,
1989.
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sommaire
Cours 13 : Le mythe littéraire de
la critique voltairienne de Leibniz dans le Candide ou l'optimiste
et le Poème sur le désastre de Lisbonne
Le Candide de Voltaire est sans doute - dans le chaos pédagogique
de l'année préparatoire au bac français
- le texte qui résiste le plus à l'approche critique
(laquelle est pourtant censée guider toute pratique laïque
de la lecture). Sous couleur d'une critique de l'optimisme, le
Candide cristallise, pêle-mêle, les clichés
contemporains de l'engagement intellectuel. A telle enseigne
que ce petit texte - si grand soit-il par ses qualités
littéraires - tend à être surdéterminé
philosophiquement au profit d'une critique généalogique
de la connaissance. Pangloss=Leibniz, certes, mais un Leibniz
de seconde main puisque son oeuvre n'a d'autre palimpseste que
le texte de l'alter ego poétique du philosophe allemand,
le fameux An Essay on Man (1734) de Pope, dont Voltaire, dans
sa préface au Poème sur le désastre de Lisbonne
(1756), loue les « vers immortels ». Désaccord
sur le fond donc avec l'émule de Leibniz mais admiration
de la forme (lesquels sont bien, quoi qu'on en dise à
l'école, séparés sans cesse par les "grands
auteurs").
Mais la réception scolaire du corpus de la "philosophie
optimiste" est encore plus fuyante que celle de Voltaire
en raison de l'atomisation de disciplines qui restaient encore
unies sous la plume du polémiste. (comment peut-on pédagogiquement
soutenir l'étude du Candide en classe de première
alors que l'enseignement philosophique n'est dispensé
qu'en terminale ?).
La question des mondes possibles annoncée par Leibniz,
en 1697, dans l'Opuscule sur l'origine radicale des choses, qui
fait du monde existant le meilleur des mondes possibles, est
devenue aujourd'hui un topos littéraire, passé
à la postérité sous la seule forme - fût-elle
géniale - des caricatures de Voltaire, qui ont détourné
de Leibniz des générations d'écoliers.
Ces "gallicismes" scolaires sont d'autant plus anachroniques
qu'aujourd'hui la sociologie de la littérature reprend
sur le mode de la théorie des Possible worlds ce versant
fertile de la pensée de Leibniz.
En faisant de Voltaire un écrivain et de Leibniz un théoricien,
nos manuels scolaires partagent arbitrairement ce qui n'appartient
qu'au domaine de la fiction heuristique. Car c'est une fiction
qui clôt nécessairement la Théodicée
de Leibniz, et c'est par une fiction que Voltaire se devra de
répondre à cet ouvrage, qui se présente
déjà lui-même comme une réplique à
Bayle. Tout se passe comme si Arouet n'avait pas lu la Théodicée
(ce que se gardent de faire également les enseignants
qui commentent le Candide en suivant le "livre du professeur").
Car Leibniz ne nie pas le mal mais il lui confère une
ampleur heuristique bien supérieure à ce que la
fiction voltairienne lui donnera. Pour Leibniz, on le sait, si
Dieu a conçu la possibilité du mal, c'est qu'il
a créé "le meilleur des mondes possibles".
Un monde absolument parfait dans le bien aurait été
heuristiquement imparfait dans ses possibilités, la perfection
divine se confondant avec celle de l'ars combinatoria auquel
rêve Leibniz. La France littéraire, artistique et
scolaire, en instrumentalisant Voltaire et Candide, a toujours
exclu l'heuristique de son territoire pour la renvoyer aux seuls
mathématiques, privilégiant ainsi le commentaire
sur la création. La création n'est envisagée
par cette étrange pédagogie que causalement comme
une critique des sources et non téléologiquement
comme fin pratique de la critique littéraire.
Sensible aux approximations généalogiques d'un
Foucault, qui assimilait connaissance et pouvoir, l'enseignant
préférera montrer du doigt Pan-gloss plutôt
que de présenter aux élèves le Ponocratès
du Gargantua (fils d'un certain Panta-gruel) dont il est pourtant
l'héritier. Alors que Descartes et Fontenelle figurent
aux programmes de littérature française, Leibniz,
qui écrivit pourtant nombre de ses opuscules en français,
n'a pas droit à la même faveur, partageant ainsi
le sort d'un Gilles Ménage proscrit de notre histoire
littéraire sous l'effet du "Vadius-Pangloss"
des Femmes savantes de Molière.
N'en déplaise à Voltaire tout ne va pas «
le mieux qu'il soit possible » dans cette heuristique.
Car elle agit comme une poétique - Breitinger (Cf. Critische
Dichtkunst, 1740) et Bodmer, son illustre préfacier, s'en
souviendront à propos de Milton, que Voltaire stigmatise.
Dans un livre consacré au possible worlds, Raymond Bradley
et Norman Swartz avancent que le monde de la fiction ne doit
pas faire l'objet d'un traitement de faveur (« The world
of fiction needs no special indulgence » ). Le diagramme
cartésien qu'ils donnent des mondes possibles («
Non-Actual Worlds ») divisés en « Physically
Impossible » et« Physically Possible »,
cette dernière catégorie incluant le monde donné
(« The Actual World »). Ces catégories ont
l'avantage d'admettre la validité heuristique de la fiction.
Mais cette reconnaissance n'est que logique et computationnelle.
Elle n'est pas modalisée par un sujet ni même actualisée.
Dans ce contexte, c'est la poésie qui a vocation heuristique
de contester l'antinomie entre fiction et réel (donc entre
nécessité et réalité). La métaphore
possède alors la vertu d'abolir la division sémiotique
entre les catégories logiques du "physiquement possible"
et du "physiquement impossible". D'où cette
conception de la métaphore chez Reverdy - dont Breton
fera le socle de l'image surréaliste - comme ce qui rapproche
deux réalités les plus éloignées
possibles. Au vu des exemples fournis par Reverdy et par Breton,
l'efficacité de la métaphore dépend de sa
faculté à réunir heuristiquement les catégories
anciennement logiques du physiquement possible et du physiquement
impossible. L'image que Char donne de l'imagination peut être
assimilée également à un programme (usage
d'un infinitif à modalité impérative) d'apprentissage
heuristique du virtuel. Sa division des mondes possibles prend
tout d'abord la forme d'un partage sémiotique qu'il s'agira
d'abolir heuristiquement : « Reconnaître deux
sortes de possible : le possible diurne et le possible prohibé.
Rendre, s'il se peut, le premier l'égal du second ; les
mettre sur la voie royale du fascinant impossible, degré
le plus haut du compréhensible ». C'est en suivant
le mouvement infinitif d'un procès heuristique que Char
peut donc définir l'imagination : « L'imagination
consiste à expulser de la réalité plusieurs
personnes incomplètes pour, mettant à contribution
les puissances magiques et subversives du désir, obtenir
leur retour sous la forme d'une présence entièrement
satisfaisante. C'est alors l'inextinguible réel incréé.
»
Le schème qui permet la réintégration de
l'imaginaire dans le réel n'est autre que celui des mondes
possibles, pour peu que l'on traduise aujourd'hui, en poétique,
par heuristique ce que Leibniz croyait pouvoir obtenir de l'algorithme.
Corpus de travail avec les étudiants
LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm, De Arte Combinatoria, in Die philosophischen
Schriften 4, Georg Olms Verlag, Hildesheim, New York, 1978, pp.
15-102.
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, Discours touchant la méthode
de la certitude et l'art d'inventer, in Die philosophischen Schriften
7, Georg Olms Verlag, Hildesheim/ New York, 1978, pp. 174-183.
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, Nouveaux essais sur l'entendement
humain, GF/Flammarion, 1990.
LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm, Opuscule sur l'origine radicale des
choses, trad. Martine Etrillard & Pierre-Yves Bourdel, Paris,
Hatier, 1989.
LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, Essais de Théodicée
sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et
l'origine du mal, éd. Jacques Brunschwig, GF/Flammarion,
1969. VOLTAIRE, Candide ou l'optimiste, in Romans et contes,
Folio/Gallimard, 1972, pp. 135-234.
VOLTAIRE, Préface au poème sur le désastre
de Lisbonne, in oeuvres complètes, tome ix, Paris, Garnier-Frères,
libraires-éditeurs, 1877, pp. 465-469.
VOLTAIRE, Poème sur le désastre de Lisbonne, ou
examen de cet axiome : Tout est bien in oeuvres complètes,
tome ix, Paris, Garnier-Frères, libraires-éditeurs,
1877, pp.470-480.
VOLTAIRE, De l'horrible danger de la lecture, Ambialet, P. Laleure,
1973.
+ Divers manuels scolaires.
Bibliographie
BREITINGER Johann Jakob, Critische Dichtkunst (Traité
critique de l'art poétique) préfacé par
Johann Jakob Bodmer, Zürich, C. Orell, 1740.
LETER Michel, Pour enterrer l'année Voltaire : Le mythe
littéraire de la critique voltairienne de Leibniz dans
Candide ou l'optimisme et le Poème sur le désastre
de Lisbonne, Essais critiques sur la littérature 1983-1994,
volume xxix, Paris, L'invendu, 1994.
LETER Michel, Les clichés littéraires en classe
de français : Rabelais et Guillaume d'Ockham, Molière
et Ménage, Voltaire et Leibniz, Essais critiques sur la
littérature 1983-1994, volume xi, Paris, L'invendu, 1995.
LETER Michel, Leibniz, homme de lettres français, Essais
critiques sur la littérature 1983-1994, volume xv, Paris,
L'invendu, 1995.
POPE Alexander, An Essay on Man, éd. Maynard Mack, London,
New York, Routledge, 1993.
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Cours 14 : Les De l'Allemagne de Madame
de Staël et de Heine et l'écho rencontré par
les controverses esthétiques allemandes dans la littérature
française
S'il est aujourd'hui admis que l'on ne peut aborder Coleridge
sans avoir lu Kant et Schelling, les frères Schlegel et
Jean-Paul (Richter), on ne s'accorde pas encore à envisager
la littérature française du premier dix-neuvième
siècle sous le prisme de la révolution esthétique
du temps. Notre horizon est borné en la matière
par Brion et Béguin qui - aussi remarquables que demeurent
leurs travaux - s'appuyaient sur une lecture sommaire des traités
d'esthétique du tournant du siècle. Dans l'Allemagne
romantique, Brion s'en tient à cette remarque sur «
la critique kantienne qui, en délimitant les frontières
du rationnel, libère et ooeuvre celle de l'irrationnel.
"Etre romantique dit Novalis, c'est donner au quotidien
un sens élevé, au connu la dignité de l'inconnu,
au fini l'éclat de l'infini" ». Le mot est
élégant, mais l'histoire des idées supporte
rarement les concetti.
Cette réserve tient sans doute au fait que les écrivains
français à partir du règne de Charles X
se gardent eux-même d'évoquer les sources allemandes.
Mais cette inspiration tacite ne peut passer sous silence les
efforts de ces médiateurs qui escortent Mme de Staël
: Charles Villers, Victor Cousin, Emile Deschamps, et aussi Heine
et August Wilhelm Schlegel, que l'on nous autorisera sur ce point
à naturaliser.
A partir des jalons posés par Madame de Staël, nous
étudierons :
- L'impact sur la littérature française des controverses
suscitées par l'esthétique kantienne, de sa défense
(Bernhardi et Goethe) à sa critique (Herder, Maimon et
A. W. Schlegel).
- Les palimpsestes d'Heine sur Staël (son De l'Allemagne
et son De la France) et l'influence du poète-essayiste
sur Gautier, Nerval et Baudelaire.
Corpus de travail avec les étudiants
HEINE Henri, De l'Allemagne, Les presses d'aujourd'hui, 1979.
HEINE Henri, De la France, Tel/Gallimard, 1994.
STAËL-HOLSTEIN Anne-Louis-Germaine Necker, Baronne de, De
l'Allemagne, 2vol., GF/Flammarion, 1968.
Bibliographie
AZOUVI François, BOUREL Dominique, De Königsberg
à Paris : La réception de Kant en France (1788-1804),
Paris, Vrin, 1991.
BERNHARDI August Friedrich, Sprachlehre, 2 vol., Berlin, Frölich,
1801-1802, repr. Hildesheim, 1973.
COUSIN Victor, Cours de philosophie professé à
la Faculté des lettres pendant l'année 1818 par
Monsieur Victor Cousin sur le fondement des idées absolues
du vrai, du beau et du bien, Paris, Hachette, 1836.
COUSIN Victor, Du vrai, du beau et du bien, 2e édition
augmentée d'un appendice sur l'art français, Paris,
Didier, 1854.
COUSIN Victor, De l'instruction publique en Allemagne, en Prusse
et en Hollande in oeuvres, vol.3, Hauman, Bruxelles,1841.
DESCHAMPS Émile, oeuvres complètes, reproduction
en fac-similé de l'édition de Paris, A. Lemerre,
1872, Slatkine,
HERDER Johan Gottfried von, Histoire de la poésie des
Hébreux (Vom Geist der ebraïschen Poesie), trad.
Aloyse Christine de Carlowitz, Paris, Didier, 1845.
HERDER Johan Gottfried von, Traité sur l'origine du langage,
suivi de L'analyse de Merian et autres textes critiques de Herder,
Aubier/Flammarion, 1978.
HERDER Johan Gottfried von, Über die neuere deutsche Litteratur,
in Werke, t.1, Munich, Hanser Verlag, 1984, pp. 63-354.
HERDER Johan Gottfried von, Kalligone, 3 vol. 1 - Vom Angehehmen
und Schönen, 2 - Von Kunst und Kunstrichterei, 3 - Vom Erhaben
und vom Ideal, Frankfurt und Leipzig, 1800,
HERDER Johan Gottfried von, Von Deutscher Art und Kunst in Sämmliche
Werke, tome V, Berlin, Weidmann, 1877-1913.
HERDER Johan Gottfried von, Plastik in Sämmliche Werke,
tome VIII, Weidmann, Berlin, 1877-1913.
MORITZ Karl Philip, Schriften zur Ästhetik und Poetik, éd.
H. J. Schrimpf, Tübingen, Niemeyer, 1962
SCHELLING Friedrich Wilhelm Joseph von, Jugement sur la philosophie
de Monsieur Victor Cousin et sur l'état de la philosophie
française in Système de l'idéalisme transcendantal,
trad. Grimblot, Ladrange, Paris, 1842.
SCHLEIERMACHER Friedrich Daniel Ernst, Vorlesungen über
Asthetik (1842), W. de Gruyter, 1974.
SCHLEGEL August Wilhelm von, Comparaison entre la Phèdre
de Racine et celle d'Euripide, Paris, Tourneisen, fils, 1807.
SCHLEGEL August Wilhelm von, Vorlesungen über schöne
Literatur und Kunst, (1801-1804), J. Minor, Heibronn, Henninger,
1884.
SOLGER Karl Wilhelm Ferdinand, Erwin. Vier Gespräche über
das Schöne und die Kunst, (1815), fac-similé de l'éd.
de Berlin, Wiegandt, 1907, Munich, W. Fink, 1971.
SOLGER, Vorlesungen über Aesthetik, WBG, Darmstadt, 1980,
rééd. F. A. Brockhaus, Leipzig, 1829.
SZONDI Peter, Poetik und Geschichtsphilosophie I, Francfort-sur-le
Main, Suhrkamp, 1974.
SZONDI Peter, La poétique de l'idéalisme allemand,
Tel, Gallimard, 1991.
TRONCHON Henri, La fortune intellectuelle de Herder en france,
bibliographie critique (thèse), Paris, 1920.
VILLERS Charles de Lettre de Charles Villers à Georges
Cuvier, Sur une nouvelle théorie du cerveau, par le Docteur
Gall; ce viscère étant considéré
comme l'organe immédiat des facultés morales,à
Metz chez Collignon, Imprimeur-libraire, An X, 1802.
VILLERS Charles de, Rapport fait à la classe d'histoire
et de littérature ancienne de l'Institut de France sur
l'état actuel de la littérature en Allemagne [sans
lieu, ni date].
VILLERS Charles de, Introduction au De l'Allemagne de Madame
de Staël, Paris, 1823.
VILLERS Charles de, Kant jugé par l'Institut et observation
sur ce jugement, par un disciple de Kant, Paris, Heinrichs, an
x (1802).
VILLERS Charles de, Philosophie de Kant, ou principes fondamentaux
de la philosophie transcendentale, Metz, Collignon, an ix (1801).
VILLERS Charles de, Sur la manière essentiellement différente
dont les poètes français et les Allemands traitent
l'amour (1806) in EGGLI Edmond, L'érotique comparée
de Charles de Villers, Paris, 1927.
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Cours 15 : Louis Lambert et la philosophie
balzacienne
Louis Lambert est sans doute le roman que Balzac a le plus
remanié. Sa place est unique dans l'ensemble des études
philosophiques où Balzac a bien dû se résoudre
à le ranger. Sans doute est-ce que le signal romanesque,
moins qu'ailleurs encore, fonctionne d'autant que cette fiction
philosophique est plus heuristique que réaliste.
La question est de savoir pourquoi le roman après avoir
trouvé sa reconnaissance philosophique avec Diderot -
suivant l'exemple anglais - acquiert une dimension telle qu'il
parvient à absorber la carrière philosophique que
Balzac aurait pu embrasser (au lieu de se résoudre à
inscrire en abyme son Traité de la volonté dans
Louis Lambert).
Pour Félix Davin, (dans sa préface de 1834 ) Le
chef-d'oeuvre inconnu, c'était "l'art tuant l'oeuvre"
et Louis Lambert, c'est "la pensée tuant le penseur".
Ce mysticisme accrédite l'idée que Balzac est inspiré
par le mouvement illuministe. Or non seulement l'oeuvre de Balzac,
par sa nature fictive, est irréductible à telle
ou telle doctrine philosophique mais encore deux objections,
sémantique et historique, devraient nous dissuader d'emprunter
ce raccourci :
- l'ambivalence du terme illuminisme (qui veut dire tout et son
contraire rationnel, en vertu duquel il peut le ranger dans le
champ lexical des lumières).
- la prééminence de l'éclectisme de Victor
Cousin au moment où Balzac achevait ses études
de droit (1818, l'année du cours de Victor Cousin sur
le "beau , le bien, le vrai", vraisemblablement suivi
par Balzac, est aussi l'année où Balzac écrit
son premier essai philosophique). Et ceci indépendamment
des critiques ultérieures adressées par le Balzac
de la "maturité" à l'égard de
l'éclectisme, devenu philosophie officielle de la bougeoisie
sous la monarchie de juillet.
- La relation privilégiée que Balzac entretient,
par Louis Lambert, avec l'Allemagne. On se souviendra que c'est
madamae de Staël qui envoit Louis Lambert au collège
de Vendôme, où Balzac eut pour camarade le baron
Barchou de Penhoën, premier traducteur de Fichte en langue
française, qui suivra la voie ouverte par Villers, Staël
et Cousin en publiant (chez Charpentier, éditeur du de
la seconde version de Louis Lambert) une remarquable Histoire
de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel
(1836).
Philosophiquement, Balzac est anti-généalogique
avant la lettre. Dans Louis Lambert et La peau de chagrin, il
oppose le pouvoir et le vouloir au savoir, sans n'entretenir
- comme plus tard Nietszche ou Foucault - l'illusion d'une alliance
entre les deux, même s'il doit confesser avec Louis Lambert
que le savoir conduit, lui aussi, à la mort.
Corpus de travail avec les étudiants
BALZAC Honoré de, Louis Lambert, Folio/Gallimard, 1980.
BALZAC Honoré de, Essais philosophiques (1818-1823) in
oeuvres diverses, Gallimard, 1990.
BALZAC Honoré de, La comédie humaine, oeuvres philosophiques,
études analytiques, éd. Pierre-Georges Castex,
1980.
BALZAC Honoré de, Sténie ou les erreurs philosophiques,
in La comédie humaine, études philosophiques, Pléiade
t. x, Gallimard, 1979.
BALZAC Honoré de, Les oeuvres de l'abbé Savaroti,
in Op. cit.
BALZAC Honoré de, Clotilde de Lusignan, in Op. cit.
BALZAC Honoré de, La peau de chagrin, in Op. cit.
Bibliographie
BALZAC Honoré de, Hisoire intellectuelle de Louis Lambert,
fragment extrait des romans et contes philosophiques, Ch. Gosselin,
Paris, 1833.
BALZAC Honoré de, Louis Lambert, suivi de Séraphîta,
Nouvelles éditions revues et corrigées, Charpentier,
Paris, 1842.
BALZAC Honoré de, notice biographique sur Louis Lambert,
(sans lieu ni date).
BARCHOU DE PENHOËN Auguste-Théodore-Hilaire, Histoire
de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel,
2 vol., Charpentier, 1836.
COUSIN Victor, Cours de philosophie professé à
la Faculté des lettres pendant l'année 1818 par
Monsieur Victor Cousin sur le fondement des idées absolues
du vrai, du beau et du bien, Paris, Hachette, 1836.
EVANS Henri, Louis Lambert et la philosophie de Balzac, Corti,
Paris, 1951.
KIEFFER Henri, Balzac et l'Allemagne, Thèse de doctorat,
Université de Bretagne, 2 vol., 1959.
NYKROG Per, La pensée de Balzac dans "La comédie
humaine", esquisse de quelques concepts clés, Paris,
Klincksieck, 1965.
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Cours 16 : Esthétique, poétique
et modernité chez Balzac
La réception critique moderne nous a légué
deux Balzac : le premier, stigmatisé par Robbe-Grillet
comme ce père mythique que le nouveau roman aurait laissé
pour mort, et le second, salué par Butor comme «
volontairement et systématiquement novateur ». S'il
est vrai que la postérité a retenu Baudelaire pour
sa définition de la modernité, elle continue de
tenir à l'écart son maître Balzac, qui pourtant
forgea le néologisme dès 1823.
Pour prendre la mesure de la modernité de Balzac, il s'agira
donc aujourd'hui :
1) Esthétiquement, de situer les fictions heuristiques
de Balzac par rapport à l'esthétique philosophique
allemande et ainsi de vérifier que, chez Balzac (à
l'instar d'un Kant, d'un Herder, d'un Schelling, d'un Solger
ou d'un Schleiermacher), l'esthétique ne s'oppose pas
à la modernité mais la constitue.
2) Poétiquement, de savoir si la pratique poétique,
inaugurée par le jeune Balzac en 1819-1823, se poursuit
chez le Balzac de la "maturité" (de la modernité),
envers et contre l'informel romanesque.
3) Philosophiquement, de comprendre pourquoi et comment Balzac,
plutôt que de s'en tenir à l'essai philosophique,
choisit d'inscrire en abyme son Traité de la volonté
dans Louis Lambert.
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Cours 17 : Discours et valeurs dans les
séries Matières de rêves, Génie du
lieu, Illustrations, Envois et Avant-goût de Michel Butor
1. Une critique géopoétique du géopolitique.
Chez Butor le discours est ce qui transforme, et ceci indépendamment
de toute "typologie des textes" (littéraire,
critique, politique...) puisque «Toute invention est une
critique» (Cf. La Critique et l'invention in Répertoire
III).
Le sérialisme de Michel Butor n'est pas seulement une
guématrie du chiffre 5, il se déploie géopoétiquement
comme une critique du centre (dont Paris est l'emblème)
et plus généralement de la lecture géopolitique
du monde. Si d'après Yves Lacoste, directeur de la revue
Hérodote, « La géographie sert avant tout
à faire la guerre », pour Butor (à l'image
du "monde" de Mallarmé, fait "pour aboutir
à un beau livre") la géographie sert avant
tout à transformer la littérature - en la multipliant
par 5, le cinq de Rabelais mais aussi celui des continents.
A entendre Michel Butor, c'est géopoétiquement
qu'apparaît motivée sa première série,
Le Génie du lieu : «le premier [Génie du
lieu] tourne autour de la Méditerranée; le second
intitulé Où avec la fantaisie orthographique de
barrer l'accent grave, pour que ce soit aussi bien le lieu que
l'altérité, tourne autour de l'hémisphère
nord; le troisième, Boomerang, imprimé en trois
couleurs, commence d'ajouter l'hémisphère sud,
etc.».
Le discours de Butor est géographiquement situé.
A l'image des noms que l'homme a donné à ses différents
domiciles ("Aux Antipodes", "A la frontière",
"A l'écart"), la critique sérielle, chez
l'auteur, est à la fois une "politique du rythme"
et une "politique du sujet" (pour reprendre les notions
illustrées par le dernier livre d'Henri Meschonnic) dans
la mesure où elle se développe contre les signalisations
génériques (poème, narration, etc.) que
l'institution littéraire entend imposer à l'énonciation.
Dans Où (Le Génie du lieu 2) Michel Butor, par
métamorphoses successives - qui d'ordinaire restent confinées
au manuscrit - nous adresse une première invitation à
transformer géopoétiquement les énoncés
touristiques ou géopolitiques, sous forme d'auto-corrections:«Et
plus loin ces crochets blanchissants en triangle - je viens de
raturer toute ligne (p.79); «- de supprimer tout un verset,
je m'y remets»(p.80); «j'aurais pu employer le mot
"rempart"» (p.11); « j'aurais pu employer
"jalousies, panneaux" (p.16); «les mots "crâne,
incarnat, carapace"» (p.19); « j'aurais pu employer
"crayeux, blafards, tours, créneaux"»
etc.
Le projet d'une topologie géopoétique transnationale
résistant aux cartographies géopolitiques est admirablement
suggéré par Michel Butor dans ses Matières
de rêves : «La seule solution c'est d'être
Homère, c'est-à-dire l'aveugle voyant, donc d'être
né dans plusieurs villes et d'errer connaisseur, guide
sans patrie, spécialiste des envers et des environs, chantant
au passage dans un demi-sommeil Illiades et Odyssées méconnaissables-reconnaissables
(Troisième dessous, p.81)».
2. A l'infinitif : un dépassement de la division
narratologique entre discours et récit.
Dépassant l'opposition temporelle classique des marques
de l'énoncé narratif - passé simple et troisième
personne pour le récit, présent ou imparfait (présent
du passé) et première personne pour le discours
- Butor donne ses lettres de noblesse à ce mode impersonnel,
l'infinitif, déjà privilégié par
Duchamp dans A l'infinitif, sa Boîte blanche et sa Boîte
verte.
C'est en effet "à l'infinitif" que Butor élabore
les transformations géopoétiques qui font la richesse
des Matière de rêves : «Transformer toutes
les anciennes casernes en musée d'histoire naturelle»,
(Troisième dessous, p.55), «Rédiger tous
les documents officiels en gascon et angoumoisin» (p.81),
«Mettre la cathédrale d'Ajaccio à la place
de Notre-Dame de Paris et le château de Niort à
celle du Louvre» (p.99), «Transporter le département
des Côtes-du-Nord dans l'océan Atlantique à
25 kilomètres à l'ouest de l'île de Sein,
tout en maintenant le régime des fleuves par les machineries
appropriées» (p.100), «Installer le gouvernement
de la France à Guéret, livrer les anciens ministères
aux universités spontanées» (p.105), «Recouvrir
les villes de Nîmes et du Mans d'un immense dôme
pour en faire une seule serre tropicale, observer la transformation
des costumes et coutumes» (p.126), «Recopier sur
les voies de chemin de fer désaffectées de toute
la Normandie et Ile-de-France les tragédies de Racine,
un vers par traverse, et les supprimer des bibliothèques
et librairies pour qu'on ne puisse plus lire qu'en arpentant
les anciens parcours» (p.119).
3. Une valeur trouvée : éthique ou esthétique
?
C'est au fil des métamorphoses sérielles de
ce discours que la question de la valeur se "trouve"
(au sens de "l'objet trouvé" des surréalistes)
posée implicitement (ce qui la différencie de l'énonciation
philosophique balzacienne, marquée par l'explicite) et
qu'elle l'est dans toute son ambivalence.
Dans ses Präludien, le néo-kantien Windelband définit
l'axiologie comme la branche de la philosophie pratique qui traite
de la constitution des valeurs. Cette notion peut être
entendue sur son versant éthique comme sur son versant
esthétique, d'autant que Rickert (cette autre figure de
l'école de Baden) va jusqu'à subsumer le concept
d'axiologie sous celui de culture.
Dans les séries de Michel Butor, la valeur est portée
éthiquement, nous l'avons vu, par la critique des frontières
géopolitiques. Mais peut-on - puisque la critique est
aujourd'hui conviée à repenser la valeur littéraire
- considérer cette dimension éthique de la valeur
en ignorant sa dimension esthétique ?
La formulation de cette question nous conduira vraisemblablement
à redessiner d'autres frontières, réputées
hermétiques, et particulièrement celle qui sépare
l'esthétique de la poétique.
Corpus de travail avec les étudiants
Extraits de :
BUTOR Michel, Le Génie du lieu, Grasset, 1958.
BUTOR Michel, Où (Le Génie du lieu 2) Gallimard,
1971.
BUTOR Michel, Boomerang (Le Génie du lieu 3) Gallimard,
1978.
BUTOR Michel, Transit A, Transit B,Le Génie du lieu 4,
Gallimard, 199
BUTOR Michel, Le Génie du lieu 6, [entorse tolérée
par Butor au sérialisme du 5, sur une proposition de Michel
Leter] éditions Alessandro Vivas, Paris, 1991.
BUTOR Michel, Illustrations, Gallimard, 1964.
BUTOR Michel IllustrationsII, Gallimard, 1969.
BUTOR Michel, Illustrations III, Gallimard, 1973.
BUTOR Michel, Illustrations IV, Gallimard, 1976.
BUTOR Michel, Matière de rêves, Gallimard, 1975.
BUTOR Michel, Second sous-sol (Matière de rêves
2), Gallimard, 1976.
BUTOR Michel, Troisième dessous (Matière de rêves
3), Gallimard, 1977.
BUTOR Michel, Quadruple fond (Matière de rêves 4)
Gallimard, 1981.
BUTOR Michel, Mille et un plis (Matière de rêves
5), Gallimard, 1985.
BUTOR Michel, Avant-goût, Ubacs, Rennes, 1984.
BUTOR Michel, Avant-goût 2, Ubacs, Rennes, 1987.
BUTOR Michel, Envois, Gallimard, 1980.
BUTOR Michel, Exprès (Envois 2), Gallimard, 1983.
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Cours 18 : Problèmes de l'énonciation
philosophique dans le discours balzacien : Sténie, L'Elixir
de longue vie, La Peau de chagrin, Melmoth réconcilié
et Louis Lambert
1. Hétérogénéité du
discours balzacien.
Le cours proposé ne vise pas à instrumentaliser
le corpus balzacien au profit de la démonstration que
la philosophie serait littéraire ou la littérature
philosophique (Literature as Philosophy, Philosophy as Literature,
titre de la neuvième rencontre annuelle de l'International
Association for Philosophy and Literature ).
Il ne s'agit pas non plus d'aller chercher chez Balzac les marques
d'une "philosophie sans philosophe" (formule de Pierre
Macherey in A quoi pense la littérature ?)
Car, de même qu'à la faveur du cours de cette année
il s'agissait de montrer que le Balzac poète, des années
1819-1823, survit au système énonciatif dit narratif
de La Comédie humaine, le Balzac philosophe du Traité
de la volonté, l'étudiant suivant les cours de
Victor Cousin à la Sorbonne, reste philosophe avec, envers
et contre le roman.
Cette année, en nous penchant sur "l'esthétique,
la poétique et la modernité chez Balzac",
nous avons mis en lumière l'extrême hétérogénéité
du discours balzacien. En regard de cette hétérogénéité
les notions scolaires de registre et de typologie textuelle tombent
(notre thèse étant que Balzac n'a renoncé
qu'institutionnellement à être poète ou philosophe,
en donnant les gages d'une signalisation romanesque).
Les "romans" de Balzac sont hantés par une énonciation
polyphonique, que nous avons déjà tenté
de mettre en lumière en analysant les modes de l'inscription
en abyme (dans les Illusions perdues) des poèmes de jeunesse
d'Honoré de Balzac (notamment la remotivation balzacienne
de la stance dans le roman (Cf. le poème A elle) par rapport
à sa motivation dans le poème dramatique classique,
où elle a pour fonction de couper l'isométrie).
Si Louis Lambert est le roman que Balzac a le plus remanié,
c'est sans doute que le signal romanesque fonctionne d'autant
moins que cette fiction philosophique est plus heuristique que
réaliste. Le choix, dans notre corpus, d'un texte tel
que Sténie ou les erreurs philosophiques, qui ne figure
pas dans La Comédie humaine, ajoutera la dimension épistolaire
à cette problématique de l'énonciation philosophique.
2. Démarche adoptée.
L'unité de cette recherche est donnée par l'énonciation
qui, justement parce qu'elle est littéraire, occupe une
position critique au sein même de la philosophie dans sa
résistance discursive à toute épochè
(le récit, dans son chronotope, et le poème, dans
son rythme, sont mis en posture critique dans la philosophie
par l'irréductibilité des embrayeurs et des déictiques
de l'énonciation, en tant que "mise en fonctionnement
de la langue par un acte individuel d'utilisation", selon
la définition de Benveniste).
La philosophie, en haine du style, se mire dans l'utopie monologique
d'une langue transcendantale (au sens noématique de Husserl
et non à celui, schématique, de Kant et de Schelling
qui concoit schématiquement la mythologie moderne que
l'oeuvre de Balzac illustrera - Nous reviendrons sur cet aspect
décisif, une fois traduit le passage de la Philosophie
de l'art de Schelling qui s'y rapporte). L'énonciation
philosophique dans le roman participe de la ruine d'une langue
purement philosophique.
Il nous faudra repérer, au sein du corpus choisi, les
marques de l'énonciation philosophique (ainsi que de ses
tenants et aboutissants pragmatiques). Forts de ces analyses,
nous nous demanderons quelles relations ces énoncés
entretiennent avec ce que Dominique Maingueneau et Frédéric
Cosutta (1995) appellent les "discours constituants"
(c'est à dire des discours dont "la prétention
[...] est de fonder et de n'être pas fondé".
3. Observations sur le corpus choisi.
On aurait pu s'étonner de ne pas trouver Séraphîta
dans le corpus des textes proposés mais c'est justement
cette vision trop strictement swedenborgienne et mesmériste
de Balzac qu'une étude de l'énonciation permet
de retoucher.
Pour Félix Davin, (dans sa préface de 1834 ) Le
chef-d'oeuvre inconnu, c'était "l'art tuant l'oeuvre"
et Louis Lambert, c'est "la pensée tuant le penseur".
Ce mysticisme accrédite l'idée que Balzac est inspiré
par le mouvement illuministe. Or non seulement l'oeuvre de Balzac,
par sa nature fictive, est irréductible à telle
ou telle doctrine philosophique mais encore deux objections,
sémantique et historique, devraient nous dissuader d'emprunter
ce raccourci :
- l'ambivalence du terme illuminisme (qui veut dire tout et son
contraire rationnel, en vertu duquel il peut le ranger dans le
champ lexical des lumières).
- la prééminence de l'éclectisme de Victor
Cousin au moment où Balzac achevait ses études
de droit (1818, l'année du cours de Victor Cousin sur
le "beau , le bien, le vrai", vraisemblablement suivi
par Balzac, est aussi l'année où Balzac écrit
son premier essai philosophique). Et ceci indépendamment
des critiques ultérieures adressées par le Balzac
de la "maturité" à l'égard de
l'éclectisme, devenu philosophie officielle de la bourgeoisie
sous la monarchie de juillet.
- Dans Louis Lambert, les déictiques, voire même
la distribution actantielle des personnages (réelle autant
que fictive) sont autant de marques de la relation tacite que
Balzac entretient avec l'Allemagne philosophique. On se souvient
que c'est Madame de Staël qui envoie Louis Lambert au collège
de Vendôme, où Balzac eut pour camarade le baron
Barchou de Penhoën (premier traducteur de Fichte en langue
française) qui suivra la voie ouverte par Villers, Staël
et Cousin en publiant (chez Charpentier, éditeur de la
seconde version de Louis Lambert) une remarquable Histoire de
la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel
(1836).
Philosophiquement, Balzac est anti-généalogique
avant la lettre. Dans Louis Lambert et La Peau de chagrin, il
oppose le pouvoir et le vouloir au savoir, sans entretenir -
comme plus tard Nietzsche ou Foucault - l'illusion d'une alliance
entre les deux, même s'il doit confesser avec Louis Lambert
que le savoir conduit, lui aussi, à la mort.
Corpus de travail avec les étudiants
BALZAC Honoré de, Louis Lambert, Folio/Gallimard, 1980.
BALZAC Honoré de, La Peau de chagrin, Folio/Gallimard,
1974.
BALZAC Honoré de, L'élixir de longue vie, in La
comédie humaine, études philosophiques, Pléiade
t. xi, Gallimard, 1980.
BALZAC Honoré de, Melmoth réconcilié, in
La comédie humaine, études philosophiques, Pléiade
t. x, Gallimard, 1979.
BALZAC Honoré de, Sténie ou les erreurs philosophiques,
in La comédie humaine, études philosophiques, in
oeuvres diverses, Gallimard, 1990.
Bibliographie
BALZAC Honoré de, Essais philosophiques (1818-1823)
in oeuvres diverses, Gallimard, 1990.
BALZAC Honoré de, Histoire intellectuelle de Louis Lambert,
fragment extrait des romans et contes philosophiques, Ch. Gosselin,
Paris, 1833.
BALZAC Honoré de, Louis Lambert, suivi de Séraphîta,
Nouvelles éditions revues et corrigées, Charpentier,
Paris, 1842.
BALZAC Honoré de, notice biographique sur Louis Lambert,
(sans lieu ni date).
BARCHOU DE PENHOËN Auguste-Théodore-Hilaire, Histoire
de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu'à Hegel,
2 vol., Charpentier, 1836.
COSSUTTA Frédéric, Dominique MAINGUENEAU, L'analyse
des discours constituants, in Langages n°117, mars 1995,
pp.112-125.
COSSUTTA Frédéric, Eléments pour la lecture
des textes philosophiques, Paris, Bordas, 1989.
COUSIN Victor, Cours de philosophie professé à
la Faculté des lettres pendant l'année 1818 par
Monsieur Victor Cousin sur le fondement des idées absolues
du vrai, du beau et du bien, Paris, Hachette, 1836.
EVANS Henri, Louis Lambert et la philosophie de Balzac, Corti,
Paris, 1951.
KIEFFER Henri, Balzac et l'Allemagne, Thèse de doctorat,
Université de Bretagne, 2 vol., 1959.
MACHEREY Pierre, A quoi pense la littérature ?, PUF, Paris,
1990.
MARSHALL Donald G (éditeur) Literature as Philosophy,
Philosophy as Literature, actes des neuvième rencontres
annuelles de l'International Association for Philosophy and Literature,
University of Iowa Press, Iowa City, 1987.
NYKROG Per, La pensée de Balzac dans "La comédie
humaine", esquisse de quelques concepts clés, Paris,
Klincksieck, 1965.
SCHELLING Friedrich Wilhelm Joseph von, Proposition 22 de la
Philosophie de l'art , traduite par Michel Leter, précédée
de Du schématisme en art ou de Schelling à Balzac,
par Michel Leter, L'invendu, octobre 1995.
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