1. Séminaire
1990-1991 :
Théorie de l'heuristique littéraire
a) présentation
b) programme des séances
Prolégomènes
Si selon Gadamer l'ensemble de l'expérience humaine
entre dans le champ de l'herméneutique, faut-il encore
en déduire que la critique littéraire se résume
à cette dernière ? Il n'est pas question de mettre
en cause le tournant négocié par Schleiermacher
qui a su émanciper "l'herméneutique générale"
de l'herméneutique "spéciale" appelée
par l'interprétation des livres saints. Mais de ce moment
fondateur à la position hégémonique que
l'herméneutique occupe aujourd'hui dans notre relation
à la parole, il y a une césure qui ne nous semble
pas répondre au climat de l'Aufklärung . Ce hiatus
nous convie à remettre en lumière une dimension
oubliée de la pensée de Baumgarten, qui est à
la fois l'initiateur de l'esthétique philosophique et
l'inventeur du terme heuristique. A l'incipit du chapitre premier
de son Aesthetica qu'il intitule justement "Heuristique"
Baumgarten écrit : "l'esthetique (ou théorie
des arts libéraux, gnoséologie inférieure,
art de la beauté du penser, art de l'analogon de la raison)
est la science de la connaissance sensible"(traduction Jean-Yves
Pranchère). C'est l'impératif heuristique qui pousse
Baumgarten à poursuivre ainsi "l'esthétique
artificielle qui complète l'esthétique naturelle
aura notamment pour utilité : 1) d'apprêter un matériau
adéquat à destination des sciences dont le mode
de connaissance est principalement intellectuel; 2) de mettre
les connaissances scientifiques à la portée de
tout un chacun; 3) d'étendre le progrès de la connaissance,
y compris au-delà des limites de ce que nous pouvons connaître
distinctivement". Kant retiendra la leçon puisque
l'adjectif heuristisch apparaît à plusieurs reprises
dans La Critique de la raison pure. Chez Kant, les "concepts
de la raison" (Vernunftbegriffe) sont pris non pas comme
fondements d'une herméneutique empirique mais comme "fictions
heuristiques" (heuristische fiktionen) en relation avec
les " principes régulateurs de l'usage systématique
de l'entendement dans le champ de l'expérience".
La critique littéraire n'a voulu retenir de Schleiermacher
que son herméneutique. Mais là encore un des aspects
méconnus de la pensée de Schleiermacher doit être
exhumé, c'est sa Dialektik à laquelle Werner Hartkopf
consacre un passage de son utile Dialektik, Heuristik, Logik.
Celle-ci comme le souligne Hartkopf fonde l'heuristique et ouvre
le passage à Bernard Bolzano en voyant dans "l'Art
de la découverte" (die Kunst des Findens) [autrement
dit l'heuristique] un principe intrinsèque de la science
devant lui-même acquérir le statut de science. Et
Hartkopf de citer ce passage de la Dialektik : "Die Kunst
des Findens [die euristik] will Wissenschaft werden und die Wissenschaft
des Erfindennen Kunst und nur in die Identität beider ist
höchste Vollkommenheit".
L'herméneutique, conçue sans dialectique et coupée
de ses auxiliaires heuristiques, stérilise aujourd'hui
le champ critique, pour avoir constitué un canon profane
et poussé jusqu'à l'absurde l'assimilation de la
lecture à l'écriture:
la laïcisation de l'exégèse sacré ne
va pas sans contradiction. Les textes dont l'herméneutique
est constitutive du sens (par exemple la Thora qui ne prend sens
qu'à travers le Talmud ou la Kabbale) sont de nature différente
que l'oeuvre d'un Proust, dernier convive du "nouveau testament"
des herméneutes. Cet excès d'autonomie et cette
visée totalitaire de l'herméneutique ont peut-être
été autorisées par Schleiermacher, d'une
part lorsqu'il limite l'herméneutique d'Ernesti en excluant
l'art d'exposer l'interprétation (qui à ses yeux
relève davantage de la rhétorique), d'autre part
en l'étendant l'herméneutique à la compréhension
de tout discours indépendamment de son encodage et de
son statut.
L'assimilation de la lecture à l'écriture théorisée
par Roland Barthes dans son Critique et vérité
restera comme une des apories de la "nouvelle critique".
Force est de constater que l'on en trouve également le
ferment chez Schleiermacher lorsqu'il affirme que c'est "dans
l'interprétation productrice et créatrice infinie
que l'oeuvre s'enrichit et s'approche de son achèvement".
Le problème majeur auquel se trouve aujourd'hui confrontée
la recherche littéraire est de savoir si la position dominante
de l'herméneutique nuit à la découverte;
si l'interprétation une fois systématisée
devient antinomique de la création littéraire,
qu'elle prétendait justement élucider à
travers ses oeuvres vives. La critique littéraire ne doit-elle
pas trouver une nouvelle téléologie dans la création
littéraire ? La critique herméneutique ne serait-elle
pas mieux située dans un processus, comme prélude
à une démarche heuristique (et non le contraire)
qui doit elle-même aboutir à la création
? Le débat sur la scientificité de la critique
littéraire s'est trouvé faussé par ses postulats
exclusivement herméneutiques. La rencontre était
condamnée d'avance. Que dirait-on d'un physicien qui se
bornerait à interpréter la physique du passé
? et qui plus est, comme nos universitaires de lettres, en se
spécialisant par siècles !
Un autre problème surgit dès lors que l'on introduit
la notion d'heuristique, c'est celui de son positionnement "littéraire"
en regard des "heuristiques" relevant de l'intelligence
artificielle et conçues comme des "stratégies
de recherches intelligentes pour la résolution de problèmes
par ordinateur" (cf. Judea Pearl).
Dans le Dictionary of Artificial Intelligence publié en
1987 avec la collaboration des meilleurs spécialistes
de l'intelligence artificielle, l'article heuristics suit l'article
hermeneutics. Alors que la notice consacrée à l'herméneutique
est remarquablement documentée sur le débat philosophique
auquel elle a donné lieu, celle qui est consacrée
à l'heuristique se borne à évoquer les acceptions
du terme en intelligence artificielle. Certes, la notion d'heuristique
au pluriel est propre à la méthodologie de l'intelligence
artificielle, mais rien ne nous empêche de penser que cette
lacune témoigne d'une volonté de faire l'économie
des origines esthético-philosophiques du concept d'heuristique.
Le problème de la fortune de la notion d'heuristique sans
référence à ses fondements philosophiques
et logiques rend urgente la réconciliation entre Naturwissenschaft
et Geisteswissenschaft dont Jean Petitot nous a démontré
la nécessité.
Plus qu'à un conflit des interprétations qui
marqua les années 60 et 70, c'est bien à une crise
de l'herméneutique à laquelle nous assistons aujourd'hui
d'autant plus impuissants que les études littéraires
en deviennent comme une branche. Tout se passe comme si la période
d'évolution émancipatrice de l'herméneutique
qui caractérisa l'essor de l'université allemande
était suivie par une phase d'involution. On ne peut s'empêcher
de songer à la scolastique finissante, voire à
la souveraineté exégétique qui précéda
le renouvellement herméneutique au dix-huitième
siècle. Dans les deux cas, c'est un même dynamisme
qui ayant acquis un statut canonique atrophie un bras de la connaissance.
Dans sa théorie de ce qui semblait être un élargissement
de l'herméneutique de Schleiermacher, Dilthey en séparant
le verstehen de l'erkennen a creusé le fossé entre
les sciences de l'esprit et les sciences de la nature, provoquant
ce que les poètes romantiques allemands - et notamment
Goethe... le chimiste de la Farbentheorie - avaient tenté
de conjurer. Paradoxalement en affirmant que l'herméneutique
s'accommode mieux de l'interprétation des poèmes
que de l'expérimentation physique et chimique, Dilthey
ne sert pas la poésie, il la coupe un peu plus de ses
racines épistémiques. Gadamer avec Wahrheit und
method parachève "l'expansion" de l'herméneutique
générale, tout en introduisant un relativisme qui,
certes, permet de fonder une critique de la réception,
mais invalide irrémédiablement tout dialogue avec
les disciplines cognitives.
L'herméneutique littéraire (Szöndi, Jauss,...)
n'a pas su ou pas voulu se démarquer des postulats philosophiques
posés par Dilthey et Gadamer. Il convient aujourd'hui
de retrouver les conditions de l'heuristique, ce bras capté
de l'esthétique qui fonde tant la recherche en philosophie
que la recherche dans les sciences dites pures. Cette archéologie
ne pourra être conduite sans repenser le principe originel
de la littérature gnoséologique : la poésie
(dont l'anaphore permet l'anamnèse indispensable à
toute connaissance).
I - LA NOTION D'HEURISTIQUE : REPÉRES HISTORIQUES
A la différence de l'herméneutique dont les
origines sont parfaitement repérables, l'heuristique est
à la fois plus vague dans ses fondements et plus ambivalente
dans ses acceptions. Contrairement à l'herméneutique,
l'heuristique ne s'est pas constituée à la faveur
d'une laïcisation et du détournement d'un sens plus
ou moins sacralisé, mais cette indétermination
et cette polysémie du terme heuristique, lui confère
des virtualités importantes. Comme en témoigne
le colloque Methods of heuristics organisé en 1983 par
l'université de Berne, les mathématiciens, les
épistémologues, et les chercheurs en intelligence
artificielle sont eux-mêmes à la recherche d'une
définition. Ainsi que le déclare Rudolf Groner
dans son introduction "... the final discussion revealed
that there is no agreement on the definition of heuristics, not
even whether such a definition is possible". Tout se passe
comme si l'approche de la définition de l'heuristique
était elle-même objet d'une heuristique.
En dehors de la tentative de René Leclercq (La Théorie
de l'heuristique et ses applications, publié par l'auteur
en 1972) l'heuristique n'a pas retenu l'attention des penseurs
français. Lalande dans l'entrée qu'il lui consacre
dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie
limite son sens 1) à l'hypothèse de travail 2)
à la "méthode pédagogique qui consiste
à faire découvrir par l'élève ce
qu'on veut lui enseigner". Et lorsqu'il traite enfin du
rapport de l'heuristique aux sciences, c'est pour reléguer
l'heuristique à une méthode de documentation !
("partie de la science qui a pour objet les faits; spécialement
en histoire la recherche des documents"). Il faut attendre
l'édition 1989 de L'Encyclopedia universalis pour voir
une encyclopédie française consacrer un article
à la mesure de l'heuristique.
Nous distinguerons ce qui relève de l'heuristique par
définition a posteriori de ce qui est présenté
sous le vocable d'heuristique, ce qui nous autorisera à
poser l'Esthétique de Baumgarten comme pivot de notre
analyse.
A) l'heuristique a priori
Le mot heuristique vient du grec eurisko (je trouve). C'est
en effet dans la Grèce antique que la question des méthodes
de la découverte est posée notamment par Pythagore,
Platon et Aristote. On peut considérer l'analysis et la
synthesis grecque comme les premières heuristiques. En
ce sens les Eléments d'Euclide sont un des monuments de
l'heuristique grecque.
La seconde période de l'heuristique a priori se superpose
à la recherche des algorithmes commencée par les
mathématiciens arabes et qui atteindra son apogée
combinatoire avec l'Ars magna de Raymond Lulle.
Descartes partage avec Lulle cette conviction que l'on peut systématiser
les algorithmes et les appliquer à tous les problèmes.
On peut considérer ses vingt-et-une regulae ad directionem
ingeni comme autant de règles heuristiques.
Avec le concept d'ars inveniendi auquel Leibniz assimile la logique,
l'utopie algorithmique est à son point culminant. Dépassant
Lulle, Leibniz tentera de faire entrer dans son calculemus l'universalité
des processus de découverte.
B) l'élaboration du concept d'heuristique
Bernard Bolzano consacre tout un chapitre de sa Wissenschaftslehre
à l'heuristique qui devient ainsi un des piliers de la
théorie de la science et un des instruments privilégiés
de la formalisation mathématique de la logique.
Au cours de notre siècle l'heuristique trouvera des applications
en psychologie cognitive, mais c'est avant tout sur l'héritage
de John Dewey (cf. How we think, 1933) et plus encore sur celui
de Georges Polya (How to solve it, 1945) que l'intelligence artificielle
à la faveur d'un développement fulgurant ces trente
dernières années va restituer une place de choix
à l'heuristique.
Le Dictionnary of Artificial Intelligence de Stuart C. Shapiro
en donne la définition suivante : "Heuristics are
approximation techniques for solving AI [Artificial Intelligence]
problems. AI deals primarly with problems for which no practical
exact solution algorithms are known, such as finding the shortest
proof of a given theorem or the least costly plan for robot action.
Heuristics provide approximate methods for solving these problems
with practical computational ressources but often at some cost
in solution quality. Their usefulness is derived from the fact
that the trade-offs among knowledge, computation time, and solution
quality are generally favorable. In other words a small amount
of approximal knowledge often buys a large improvement in solution
quality, and/or computation times."
Plusieurs aspects donc des heuristiques en intelligence artificielle
sont à prendre en considération dans notre recherche
:
a) leur caractère d'approximation humaine et dénuée
de formalisation dans la plupart des cas.
b) le rapport "qualité/prix" (trade-offs) établi
entre le minimum de savoir requis au départ et le maximum
de savoir acquis à l'arrivée - au prix d'un sacrifice
au coup par coup de voies possibles, ce que synthétise
bien le concept de Minimax procedure (le jeu d'échec étant
souvent cité comme métaphore de l'heuristique en
intelligence artificielle).
c) L'opposition du concept d'heuristique à celui d'algorithme
bien que finalement, remarque Philippe Genthon dans son Dictionnaire
de l'intelligence artificielle, "on trouve des algorithmes
dans les méthodes heuristiques", tout en ajoutant
aussitôt "simplement le choix de ces algorithmes vient
davantage de considérations de bon sens que de constructions
formelles".
Jusqu'à présent la critique littéraire et
la sémiotique au cours de leurs "excursions"
mathématiques se sont presque exclusivement appuyées
sur des modèles algorithmiques (par exemples en poésie,
les formes fixes). La critique littéraire gagnerait à
se saisir des procédures d'évaluation heuristique
dont le caractère d'homologie avec les processus de la
création littéraire ouvrirait, entre autres, des
perspectives prometteuses à la critique génétique.
En tout état de cause, il convient de ne pas se tenir
à l'élaboration a priori de l'heuristique (d'Euclide
à Leibniz) ni à ces développement a posteriori
(de Bolzano aux théoriciens de l'intelligence artificielle),
mais d'avoir constamment à l'esprit ses fondements jetés
au cours de l'Aufklärung. D'après le Trésor
de la langue française du xixe et du xxe siècle,
le mot heuristique est employé pour la première
fois - sous sa forme latine heuristica - dans le texte fondateur
de l'esthétique philosophique l'Aesthetica de Baumgarten.Dans
les prolégomènes de cet ouvrage Baumgarten définit
l'heuristique comme "la science de la connaissance sensible".
Les prémices heuristiques de l'esthétique sont
jetés. Contrairement à ses devancières,
ce n'est pas la beauté en soi qui est la fin de l'esthétique
mais bien "la beauté de la connaissance sensible".
Avec Baumgarten l'esthétique est donc fondée sur
une heuristique et non pas sur une herméneutique. Il nous
appartient de répondre à la question esthétique
telle que Baumgarten la pose et non plus à partir de la
taxinomie hégélienne.
II - PREMICES D'UNE HEURISTIQUE LITTERAIRE
A) situation de l'heuristique litteraire au sein de l'heuristique
générale
L'heuristique littéraire doit se construire par rapport
(et non contre) le fort marquage des heuristiques scientifiques.
Son caractère est "naturellement" transdisciplinaire.
Elle pose la question de la littérature comme indissociable
de celui de la connaissance. Ce qui dans le domaine des sciences
pures et des mathématiques répond à la question
"Que peut-on savoir ?"( posée par Kant mais
ausssi par Bolzano, qui tout en se démarquant haut et
fort du kantisme s'interroge sur les mêmes fondements)
devient en poésie "Comment peut-on créer ?",
en quoi la poésie comme parole fondamentale ou parole
des fondements est aussi une discipline fondatrice élaborant
sa propre heuristique ?
En partant d'une réflexion analogue à celle d'Heidegger
sur la poésie comme fondement (à travers son Approche
d'Hölderlin) nous en arrivons à des termes différents
voire contradictoires, ou du moins qui font apparaître
la conception Heideggerienne de la poésie comme contradictoire
avec son rejet de la Wissenschaft.
Bolzano aura beau tenter de nous dissuader de rapprocher des
arts son "art de la découverte" - auquel il
consacre le chapitre IV de sa Wissenschaftlehre en le définissant
comme "un pur mécanisme obéissant à
ses propres règles". On ne peut s'empêcher
en référence au statut esthétique que Baumgarten
lui a conféré et au fiktionen proposé par
Kant d'y voir autant d'appels à la constitution d'une
heuristique tant littéraire que picturale, qui n'a pu
être entendue en raison de ce que, paraphrasant Merleau-Ponty,
nous nous risquerons à dénommer les "aventures
de l'herméneutique"...
B) exemple d'une recherche en heuristique littéraire
: l'autonymie dans la poésie française
La narratologie qui a servi de creuset à la sémiotique
littéraire, et à l'essentiel des études
interprétatives est inopérante dans une perspective
heuristique. Alors que le mouvement général tend
à réduire la littérature au roman, notre
corpus sera essentiellement poétique. Seule la poésie
peut être identifiée au littéraire alors
que - faut-il le rappeler ? - le roman n'est considéré
comme un genre littéraire que depuis à peine 150
ans. Contrairement au roman le développement de la poésie
est intimemement lié au développement des méthodes
de connaissance (que nous appelons sciences) et ceci tient tant
à ses racines mythiques (cf. La Scienza nuova de Vico)
qu'à ses fondements historiques (la fonction mnémotechnique
de la poésie).
Nous délimiterons tout d'abord un sous-ensemble cognitif
dans la poésie française : l'autonymie. Chaque
élément de ce sous-ensemble est un signe caractérisé
par son emploi comme autonyme. Ce sous-ensemble des occurrences
des signes autonymes dans le corpus de la poésie française
fait lui-même partie intégrante de l'ensemble du
métalangage qui régit les dictionnaires.
Pour paraphraser le mot de Valéry sur la réception
poétique : certain se font du métalangage une idée
si vague qu'ils prennent ce vague pour l'idée même
du métalangage. Barthes est responsable pour une bonne
part de ce que Claude Abastado appelait dans la livraison de
Littérature consacrée au métalangage "la
dérive généralisée de la notion de
métalangage" qui entre en concurrence avec celle
de "métadiscours ou métatexte". Il a
fallu attendre 1978 et la parution de l'ouvrage de Josette Rey-Debove,
qui fait désormais autorité sur la question, pour
qu'un terme soit mis à cette dérive.
Nous limiterons le moment herméneutique de notre étude
à la manifestation cardinale du métalangage en
poésie, l'énoncé autonyme, et plus particulièrement
le signe autonyme. L'adjectif autonyme est ainsi défini
dans le Robert : "Qui se désigne lui-même comme
signe dans le discours, en parlant d'un mot ou d'un énoncé.
Dans "violette est un nom de fleur", violette est autonyme".
Le mot vient de l'allemand autonym, né en 1934 sous la
plume de Carnap. Il n'est pas indifférent que cette notion
trouve son origine parmi les logiciens du cercle de Vienne.
Nous chercherons à savoir comment les heuristiques poétiques
transforment les règles propres aux usages spécifiquement
lexicographiques du métalangage. Observons tout d'abord
que dans une perspective mathématique la composition du
dictionnaire est formalisable par la relation d'ordre. André
Warusfel le définit ainsi :" Soit X un ensemble ordonné
par < que nous appellerons un alphabet.On appelle mot toute
suite finie d'éléments de X,sans se préoccuper
du sens éventuel de ce mot dans une langue naturelle.
Par exemple si X est l'alphabet usuel, constitué par nos
vingt-six lettres,
abbcda, encyclopédie
sont des mots.
L'ordre lexicographique se définit alors sur l'ensemble
E des mots de la manière suivante. Si x = x1 x2... xp
et y = y1 y2... yq sont des mots, on dira que:
x < y "
Soit cette épigramme de Jacques de Cailly :
SUR L'ETYMOLOGIE DU MOT ITALIEN ALFANA
qu'on soutenait venir du latin "equus"
Alfana vient d'equus sans doute,
Mais il faut l'avouer aussi
Qu'en venant de là jusqu'ici
Il a bien changé sur la route.
A travers cette épigramme construite sur l'usage autonymique
des mots equus et alfana on voit que la poésie versifiée
convertit la relation d'ordre qui régit le dictionnaire
en relation d'équivalence. En effet doute et route qui
dans le dictionnaire sont liées par la relation doute
< route s'écrivent à la faveur de la rime doute
= route. La fameuse définition donnée par Jakobson
se vérifie encore. Soulignons aussi que dans le schéma
de Jakobson la fonction poétique est reliée à
la fonction métalinguistique, et que la langue n'est donc
pas divisible entre une poésie centrée sur elle-même
et un métalangage tourné vers les langues. Or,
le raisonnement de Jakobson reste inachevé puisqu'il ne
décrit que la relation d'implication de la poésie
qui projette le principe d'équivalence de l'axe de la
sélection sur l'axe de la combinaison. Pourquoi faudrait-il
s'en tenir à une application de l'ensemble paradigmatique
du lexique sur le poème sans concevoir une application
réciproque de l'ensemble de la poésie sur le dictionnaire
? En effet nous pouvons dire que la poésie en retour projette
l'axe paradigmatique sur l'axe syntagmatique. Puisqu'un mot n'a
pas de sens mais n'a que des emplois, il n'est pas absurde de
dire que l'actualisation poétique constituée par
la rime ajoute à l'ensemble des sèmes de route
"rime avec doute".
III - LE MOMENT HERMÉNEUTIQUE DE L'HEURISTIQUE LITTERAIRE
La théorie de l'heuristique ne bannit pas l'herméneutique,
elle la replace dans un processus cognitif. L'herméneutique
doit préparer l'heuristique et non plus l'instrumentaliser.
A) valeur heuristique de l'autonymie en poésie
1) La nominalisation
Le signe lorsqu'il sort de la nomen-clature pour être
actualisé est le plus souvent désigné comme
tel par un présentateur (mot, nom, verbe, etc.) qui tempère
les équivoques inhérentes au signe autonyme. Ces
vers d'Hugo nous en donnent l'illustration :
Le doute! mot funèbre et qu'en lettres de flammes
Je vois écrit partout, dans l'aube, dans l'éclair,
La suppression des présentateurs, tout en restant l'exception
se rencontre dans l'entre-deux-guerres sous la plume de Ponge,
Leiris et Queneau. Elle témoigne d'une prise de conscience
des virtualités poétiques de l'autonymie dont il
nous faudra sérier les aspects. Ainsi dans cet exemple
de Ponge :
Pré est bref : fraîchement coupé, ou rasé,
jamais très haut de fûtaie mais debout.
L'équivoque est à son comble. Est-ce le mot
pré qui se trouve en jeu comme semblent l'indiquer sa
nominalisation et l'épithète "bref",
ou bien s'agit-il de ce que recouvre le pré comme le laissent
entendre les attributs qui suivent ?
Pour parler d'un mot (autonymie), il faut le nominaliser, à
l'instar de Mallarmé :
...] alléguant pour me calmer, que, certes pénultième
est le terme de lexique qui signifie l'avant-dernière
syllabe des vocables [...
La nominalisation, comme tous les traits syntaxiques de l'autonymie,
a pour effet de lever l'ambiguïté. Ce phénomène
de nominalisation apporte un éclairage nouveau au problème
de je poétique. On se souvient du "je est un autre"
de Rimbaud où le poète tire parti de la fonction
nominale de je qui avec nous (collection je+tu) et contrairement
aux autres pronoms personnels ne prend pas la fonction de représentation.
Cette caractéristique le prédispose à l'autonymie.
2) Dédoublement de la référence
La tentation nominaliste demeure. Une certaine "nouvelle
critique" n'a pas su ou pas voulu y résister. Nous
nous garderons de séparer le "signifiant" du
"signifié". Pour le linguiste, le signe forme
un tout indivisible, et dans l'état actuel de nos connaissances,
rien ne nous autorise à lui donner tort. Aussi nous ne
verrons pas dans l'adoption de l'autonymie par les poètes
du vingtième siècle une marque de la "clôture
textuelle" comme on disait naguère, mais bien une
volonté de renouveau heuristique du projet poétique.
Si Roman Jakobson prend la peine de tracer le diagramme des relations
entre les différentes fonctions du langage, c'est bien
qu'il ne conçoit pas la fonction poétique isolément.
Rien ne nous permet d'affirmer que l'autonyme soit le lieu d'une
prédominance du "signifiant" sur le "signifié".
En outre Josette Rey-Debove dans son Métalangage nous
met en garde contre toute assimilation de l'autonymie à
l'auto-référence. Un signe ne saurait renvoyer
à sa seule matérialité. "L'autonyme
n'est pas innocent", renchérit-elle "Le signe
autonyme déclenche un double processus de signification.
Un signe connu[...] est entièrement signifié par
l'autonyme [...] et un signe inconnu de quelqu'un l'est entièrement
aussi, c'est à dire que l'autonyme signifie tout ce qui
est connu du signe signifié". Ainsi l'équivoque
que nous avions cru déceler dans le Pré de Ponge
serait-elle résolue par la nature même de l'autonymie.
3) Autonymie et versification
Rey-Debove nous fait observer qu'un "mot comme syllabe
(rime etc.) a dans le métalangage de la deuxième
articulation, le même rôle que les noms de signes
(signe, mot, adverbe) puisqu'il est présentateur et incluant
d'autonyme [...] La syllabe ne saurait être découpée
en unités plus petites ayant des noms autonymes; son nom
représente l'unité autonyme minimale, puisque les
noms de lettres (phonèmes) sont des mots métalinguistiques".
Les contraintes de la rime et du syllabisme sur lesquelles repose
le vers français ne permettent pas à proprement
parler, de distinguer une autonymie "prosaïque"
d'une autonymie "poétique". Disons qu'elles
enrichissent considérablement la connotation autonymique.
En ce qui concerne la rime, et sans viser l'exhaustivité
dans ce projet de séminaire, nous mentionnerons quatre
cas de figure significatifs :
a) la rime de monosyllabes, avec cet exemple d'Hugo :
Oui, Canaris tu vois le sérail, et ma têt(e)
Arrachée au cercueil pour orner cette fêt(e)
b) la rime équivalente à un monosyllabe en
relation d'inclusion avec un autre mot, dans cet autre exemple
d'Hugo :
En tournoyant comme une roue,
Fait étinceler sur ma proue
c) la rime couronnée dans ces vers extraits des
Ballades:
Dames en brillants équipages,
Pages,
Fauconniers, clercs, et peu bénins
Nains.
d) et enfin la rime équivoquée, avec cet
exemple de Mallarmé:
Muse qui le distinguas
Si tu savais calmer l'ire
De mon confrère Degas,
Tends -lui ce discours à lire.
En notant que ces rimes de paronymes sont porteuses de connotations
autonymiques nous pouvons juger de l'incidence de l'organisation
prosodique des mots sur la distribution des signifiés.
Dans le premier cas, celui des monosyllabes homophones, le signe
tête (e final muet) - qui de façon autonyme se définit
ainsi : mot dont le signifiant est "t-ê-t-e"
et le signifié "extrémité supérieure
ou antérieure du corps de l'homme, de l'animal" -
voit contextuellement, du fait de la rime, s'ajouter à
cette définition : "rime avec fête (signifiant
et signifié) dont il ne se distingue que par le phonème
initial". De même que pour le deuxième cas,
il convient d'ajouter à la définition du mot roue
: "rime avec proue qui l'inclut (signifiant et signifié)".
Ce type d'inclusion se rapproche de la rime couronnée
mise à l'honneur par les grands rhétoriqueurs.
Avec la rime couronnée l'écho n'est plus seulement
syllabique, il correspond au signe. Jabès l'a bien compris
qui l'utilise pour dévoiler les facettes sémantiques
de vocables en relation paronymique :
Dans le mot "mort", il y a l'or du jour et de la mort.
[...]
Dans le mot "sort", il y a l'or du jour et de la mort."
Enfin dans notre quatrième cas, la rime équivoquée
de Mallarmé ajoute à la définition du verbe
lire : homonyme de la colère (l'ire), calembourg sur lyre.
Autant de traits purement contextuels qui ne sauraient être
répertoriés par "le" dictionnaire qui
relèverait toutes les connotations poétiques actualisées
ou potentielles - ouvrage pensable, même s'il n'est pas
réalisable. Nul mieux que Mallarmé a su traduire
cet empire du métalangage sur le vers, dont le mot-valise
de Ponge "proême" résume tous les paradoxes.
D'un côté Mallarmé proclame que tout poème
composé autrement qu'en vue d'obéir au vieux génie
du vers n'en est pas un...", et de l'autre c'est en Villiers
de l'Isle-Adam qu'il semble chercher l'idéal du versificateur,"le
vers n'étant autre qu'un mot parfait, vaste natif, une
adoration pour la vertu des mots". Le vers, ni phrase, ni
mot pour le poète, apparaît comme l'élément
qui perturbe la hiérarchie mot/phrase/discours adoptée
par les critiques (Paul Ricur n'y déroge pas). L'autonyme,
qui est autant signe que déictique, peut nous aider à
organiser de façon non hiérarchique les parties
du discours poétique. Roussel a montré que des
procédés voisins de ceux de la métrique
pouvaient donner naissance à des récits non-mythiques.
Le vers peut agir sur la prose métalinguistique jusqu'à
transformer la forme codifiée des mots, en vertu de la
licence poétique qui autorise ces mots de Queneau :
Mon amours ma peine
Il leur faut mouri'
Morte est la Seine
Mort est Paris
Suivant cette logique poétique toutes les métanalyses
et remotivations du signe sont licites. Ainsi chez Mallarmé
conte arabe peut-il receler crabe :
Amusez-vous du conte arabe
Moi, me voici devenu crabe.
Mais le vers "soluble dans l'air" ne devient-il
pas "mot total" dans l'espoir rationnel d'une abolition
de la différence entre le signe et la chose ? Ponge nous
le suggère humoristiquement dans son poème Le Cycle
des saisons où la feuillaison se présente comme
une métaphore filée de la versification. Claudel
entend faire basculer heuristiquement du côté de
la création le mot total de son maître Mallarmé.
Pour lui "le mot total, c'est l'univers (l'univers version
à l'unité), cela qui impose le sens et le devoir".
Tout se passe, en dernière analyse, comme si l'autonymie
traversant telle qu'en elle-même les genres du discours
littéraire relativisait leurs conventions posant ainsi
les jalons d'une heuristique générale.
B) les fondements poétiques de la lexicographie
1) De la poésie sanskrite aux ABC poétiques
du moyen age
Les premiers dictionnaires écrits en sanskrit à
partir du cinquième siècle se présentent
sous la forme de poèmes et répondent aux besoins
des poètes. En effet l'Amara-Koça d'Amarasimba,
qui en constitue l'archétype, est composé en vers
à l'usage des poètes. Il regroupe les termes importants
et rares en fonction des différentes branches de la connaissance
sacrée et profane.
Dans l'occident du Moyen Age selon un mouvement comparable, les
dictionnaires de rimes ont précédé les dictionnaires
de langue. En outre, du treizième au quinzième
siècle on voit fleurir les ABC poétiques et les
anti-lipogrammes (poèmes composés sur le modèle
alphabétique à l'initiale ou à la finale
du vers ). L'ABC des doubles de Guillaume Alexis (1451) constitue
le témoignage la plus frappant de ce "clinamen"
lexicographique des poètes du bas Moyen Age. L'ABC des
doubles est un poème de 1287 octosyllabes en rimes équivoquées,
c'est-à-dire homonymiques non seulement à la rime
mais sur le dernier syntagme, tels que les vers suivant :
Car de tant plus qu'il s'y amuse
Tant plus son corps et son ame use
Contrairement à la plupart des ABC contemporains de
l'ABC des doubles, les lettres de l'alphabet ne s'y trouvent
pas au commencement des vers ou des strophes; ce sont les mots-rimes
"équivoqués" eux-mêmes qui commencent
tour à tour par A, B, C,.. En l'occurrence le poète
traduit à la fois sa volonté d'organiser la connaissance
morale selon un ordre lexicographique et son souci de remotiver
phonétiquement les entrées de ce dictionnaire virtuel
(v. dans l'exemple cité plus haut, le poète nous
fait lire le sème virtuel de l'usure de l'âme dans
le verbe amuser).
2) Un sens plus pur aux mots du dictionnaire
Eugène Guillevic nous a récemment donné
un bel exemple de ce que notre attention aux arborescences heuristiques
(et non plus aux seules contraintes formelles) nous permettra
peut être d'unifier sous le vocable de poésie lexicographique.
A l'instar du dictionnaire le parcours heuristique qui gouverne
son recueil Lexiquer est alphabétique : l'oeuvre se compose
des vingt-six lettres de l'alphabet.
Les avant-gardes du premier vingtième siècle ne
se satisfont plus de l'antidote mallarméen, le vers comme
écart de la sémantique d'usage des "mots de
la tribu". Les vocables ne grandissent pas ex nihilo. Ils
sont codifiés par un texte donné comme canonique
et qu'il n'est plus question de laisser hors du champ poétique
: le dictionnaire. L'exclusion de la poésie du corpus
scientifique, effet secondaire de l'essor de l'herméneutique,
fait qu'au lieu comme les poètes de la Pléiade
de s'engager dans le débat lexicologique, le poète
moderne - indésirable et solitaire en dépit de
la poésie - va entrer en conflit avec le lexicographe.
Avant même Tzara et la dadaïsme zurichois, c'est Duchamp
qui va engager les hostilités, dès les années
dix, dans les notes accompagnant son "Grand verre",
La Mariée mise à nu par ses célibataires,
même. Notons au passage cette formule qui témoigne
de la conscience aiguë chez Duchamp de l'autonymie, éclairant
son "nominalisme pictural" et son désir "d'emporter
l'esprit du spectateur vers d'autres régions plus verbales".
On peut regarder voir;
On ne peut pas entendre entendre.
La métaphore heuristique constitutive d'une poésie
lexicographique n'est plus seulement une opération de
substitution. Elle exclut le phore en déplaçant
les sèmes :
Employer "retard" au lieu de tableau ou peinture;
tableau sur verre devient retard en verre - mais retard en verre
ne veut pas dire tableau sur verre. - C'est simplement un moyen
d'arriver à ne plus considérer que la chose en
question est un tableau - [...]"Retard" - un retard
en verre, comme on dirait un poème en prose ou un crachoir
en argent;"
Que l'on ne s'y trompe pas Duchamp ébauche ici une
véritable méta-définition dé-couvrant
celle du dictionnaire, qui sera reprise à l'article retard
de ce lexique parallèle que constitue le Dictionnaire
abrégé du surréalisme. A plusieurs occasions
Duchamp manifeste sa volonté de composer un dictionnaire
pour la partie écrite du "Grand verre". Conscient
sans doute du danger d'une poésie de l'écart, il
comprend que plutôt que de créer un contre dictionnaire,
il faut se décider à intervenir sur le canon lexicographique
à la manière dont Brisset intervient sur le canon
grammatical. Ce dictionnaire ne s'ajoutera pas au dictionnaire
d'usage; il ne se marquera pas comme écart mais comme
remise en perspective heuristique.
Acheter un dictionnaire et barrer les mots à barrer.
Signer : revu et corrigé
Parcourir un dictionnaire et raturer tous les mots
indésirables. Peut-être en rajouter quelques-uns.
-
Quelquefois remplacer les mots raturés par un autre.
Lorsqu'il évoque le "nominalisme pictural",
Duchamp fait immédiatement suivre ce qui semblait une
affirmation par la restriction" (à contrôler)".
En fait, il n'est rien de moins nominaliste que l'attaque de
Duchamp contre le lexique. Si notre joueur d'échec souligne
"l'antinomie fondamentale qui existe entre l'art et les
ready-made", c'est que le ready-made relève d'une
heuristique métalinguistique : la "reproduction bon
marché d'un paysage de soir d'hiver" que Duchamp
appelle "pharmacie" après y avoir ajouté
"deux petites touches, l'une rouge et l'autre jaune",
devient un signe de signe. Le ready-made suppose une opération
autonymique, non pour assurer la primauté du signe mais
pour affirmer l'objectivisation de la chose, qui prête
ainsi à toutes les permutations heuristiques de signes
: et c'est le "ready-made aidé".
Dans une autre sphère, mais peut-être pas à
l'autre extrême, il convient d'évoquer le "néo-cratylisme"
de Claudel, qui n'aboutit pas à une mise en cause du dictionnaire.
les préoccupations de Claudel sont ailleurs. La seule
"lexicographie" qui mérite commentaire à
ses yeux est celle de la nature, le grand livre divin de la nature,
celui du Moyen Age proto-lexicographique : selon Claudel "
Nous sommes sûrs de notre lexique; pas plus que les substantifs
eux-mêmes, les verbes neutres ou actifs, qui en expriment
les actions et les rapports ne faudront à leur office.
Les heures et les saisons réservent toujours les mêmes
provisions d'adjectifs et d'adverbes. Il suit donc d'après
l'insistance avec laquelle elle les maintient ou les répète,
que tous les vocables couchés aux pages de la nature ont
pour elle une valeur propre, un sens indispensable, un import
typique, sacramentel, une authenticité, et qu'ils sont
l'objet prédéterminé du travail auquel ils
servent de termes."
Symbole de la grande confusion qui règne dans les années
20, Leiris pour sa part laisse jouer le balancier dualiste préservant
le statu quo entre la poésie et les sciences humaines
pour mieux conjurer sans doute la réconciliation des sciences
humaines et des sciences de la nature. Selon Leiris "Une
monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage
est fait pour faciliter leurs relations mutuelles. C'est dans
ce but d'utilité qu'ils rédigent des dictionnaires,
où les mots sont catalogués, doués d'un
sens bien défini (croient-ils) basé sur la coutume
et l'étymologie." Leiris avance donc qu'en disséquant
les mots que nous aimons, sans se soucier de suivre l'étymologie,
ni la signification admise, nous découvrons les vertus
les plus cachées et les ramifications secrètes
qui se propagent à travers tout le langage, canalisées
par les associations de sons, de formes et d'idées".
Antonin Artaud lui apporte sa caution : "Oui voici le seul
usage auquel puisse servir désormais le langage, un moyen
de folie, d'élimination de la pensée, de rupture,
le dédale des déraisons, et non pas un dictionnaire
où tels cuistres des environs de la Seine canalisent leurs
rétrécissements spirituels". Ces imprécations
trouvent leur écho jusqu'au premier manifeste de l'oulipo,
publié en 1960, qui débute ainsi, non sans ironie
"ouvrons un dictionnaire aux mots "Littérature
Potentielle." Nous n'y trouvons rien. Fâcheuse lacune".
Toutefois l'oulipo, loin de la "théologie négative"
des lexicographes surréalistes va tenter de réconcilier
rhétorique en tentant de s'appuyer sur les mathématiques
pour proposer les premiers modèles heuristiques de la
poésie lexicographique tels que le S + 7 qui consiste
à remplacer tout substantif d'un poème par le septième
qui le suit dans un dictionnaire donné. Le poète
ne peut plus se permettre d'être dupe de son livre de chevet.
Et de même que certains critiques s'adonnent à la
littérature comparée, il n'hésite pas à
esquisser une manière de lexicographie comparative :
L'imprimerie nationale
sur les portes il y a écrit
Sortie d'usine stationnement interdit
ce qui vous oblige à réfléchir sur ce mot
usine
Littré comme Larousse parlent de machines
mais ce dernier ajoute qu'on y transforme des matières
premières en produits finis
Chez Raymond Queneau, le poème devient objet lexicographique
au même titre que le mot :
rue pierre larousse
mirabeau - Orateur français (1749-1791)
Encycl. Sous son pont coule la Seine.
Il n'est plus un territoire du mot que le poète ne
veuille annexer. Ne s'arrêtant pas à la lexicographie,
Ponge va se pencher sur la lexicologie en réorganisant
poétiquement les champs lexicaux :
Le lezard dans le monde des mots n'a pas pour rien ce zède
ou zèle tortillard, et pas pour rien sa désinence
en ard, comme fuyard, flemmard, musard, pendard, hagard.
ou les familles de mots :
Olives vertes, vâtres, noires.
Cette redistribution des affinités lexicales conduit
nécessairement à la néologie dont les lois
constituent une heuristique de la création verbale :
L'Hirondelle : mot excellent; bien mieux qu'aronde, instinctivement
répudié.
L'Hirondelle, l'Horizondelle : l'hirondelle, sur l'horizon, se
retourne, en nage-dos libre.
L'Ahurie-donzelle : poursuivie-poursuivante, s'enfuit en chasse
avec des cris aigus.
3) A l'assaut de Babel
Nous évoquions, hâtivement sans doute, le renoncement
des poètes "modernes" au droit de regard que
leur a légué la Pléiade sur l'élaboration
de la langue. Cela reste valable pour le français, mais
on assiste à une sorte de transfert d'ambition, et c'est
le mythe d'une langue universelle, incréée, vicariante
du logos divin, qui va constituer l'horizon des avant-gardes.
Fort de la prétérition de Rimbaud "Le temps
d'un langage universel viendra !", René Daumal résout
la langue d'usage dans un autonyme qu'il lexicalise : "le
non".
Or l'autonymie a ceci de surprenant qu'elle permet de passer
du mythe à la réalité d'une Babel abolie.
L'autonymie autorise en effet l'usage en français de vocables
étrangers. Comme le relève Rey-Debove "Il
n'existe ni régionalismes ni mots étrangers parmi
les autonymes. L'autonyme issu d'items regionaux ou étrangers
a sa place dans la bouche de n'importe quel locuteur : il est
interlinguistique.". La recherche d'une langue universelle
que nous avions cru mythique ne répondrait-elle pas plutôt
aux virtualités heuristiques de toute langue ? Les glossaires
poétiques de Claudel et de Leiris ont ceci de commun qu'ils
intègrent des vocables étrangers. L'autonymie le
permet. Il reste à établir la relation entre l'autonymie
et le pérégrinisme, figure récurrente dans
la poésie française depuis le fameux "je ris
au wasserfall" de Rimbaud, qu'il soit remotivé phonétiquement
chez Ponge
Stabat un volet
ou autonymiquement, comme nom de lettre, chez Queneau :
Je n'admire tant la lune
que depuis que je sais qu'en arabe
elle s'appelle Q M R.
C) la poésie contre l'arbitraire du signe
1) la remotivation poétique du signe
Indépendamment des querelles entre nominalistes conceptualistes
et réalistes, le poète ne peut durablement se satisfaire
de l'arbitraire du signe. Ouvertement ou secrètement,
autant que ses options théoriques le lui permettent, il
travaille à l'établissement d'un lien de nécessité
entre le signe et son référent. Cette composition
poétique de la langue aboutit à une remotivation
du signe. La remotivation ou motivation poétique se fonde
le plus souvent sur l'analogie morphologique, voire sur l'isomorphie,
entre un signe et un autre signe envisagés dans leur totalité,
donc comme autonyme. Ce pli de la langue participe chez Ponge
de ce qu'il appelle la "métalogie", et s'approche
d'une méta-logique :
Les ombelles ne font pas d'ombre, mais de l'ombe :
c'est plus doux.
En suivant le gymnaste de Ponge la poésie devient une
preuve par ce que le logicien médiéval William
de Shyreswood appelait la suppositio materialis
Comme son G l'indique le gymnaste porte le bouc et la moustache
que rejoint presque une grosse mèche en accroche-coeur
sur un front bas.
L'analogie morphogénétique chez Ponge ne remotive
pas seulement le cosmos, elle peut aller jusqu'à remotiver
l'histoire :
14 JUILLET
...] c'est l'odeur du bois blanc du Faubourg Saint-Antoine,
et ce J a d'ailleurs la forme du rabot.
La remotivation s'articule également sur ces deux piliers
de la poésie que sont la rime et l'étymologie.
La rime nous l'avons vu, peut remotiver un mot en dévoilant
sa relation d'inclusion avec un autre mot; fenêtre se trouve
ainsi chez Ponge remotivé par être :
la fenêtre
de tout son corps
rimant avec être
montre le jour
Quant à l'étymologie comme figure et non comme
discipline, elle constitue l'équivalent sémantique
de la remotivation morphologique, tout en apparaissant comme
plus légitime. Ponge peut en user pour motiver l'analogie
métonymique de l'assiette avec son contenu :
...] le nom de sa belle matière d'un coquillage fut
pris. Nous d'espèce vagabonde, n'y devons pas nous asseoir.
On la nomma porcelaine, du latin - par analogie - porcelana,
vulve de truie... Est-ce assez pour l'appétit ?
La remotivation peut s'accompagner d'un traitement de l'autonyme
connoté inverse à celui qui aboutit au mot-valise.
C'est ce que Bernard Dupriez nomme plaisamment le "mot-dévalisé
[...]dans lequel on suppose qu'un terme usité est en réalité
le résultat de la contraction de plusieurs mots en un
équivalent périphrastique". L'art para-lexicographique
de Michel Leiris repose, pour une bonne part, sur ce procédé.
Ainsi, dans son Glossaire, foudre est-il défini comme
"le feu en poudre".
2) les noms de lettres ou si les signes sont des choses
Les noms de lettres, qui se présentent autant comme
formes que comme phonèmes, sont propices à la remotivation.
Dans ce domaine, Rimbaud n'est pas isolé, l'itinéraire
de Pierre Emmanuel, qui dans les premières pages de son
Grand uvre décline le mantra aum, nous laisse entrevoir
les possibilités de la remotivation des noms de lettres
avec des formules aussi éloquentes que celle-ci :
Car ce A du commencement n'est que la fin d'un Oméga
Or, s'agit-il vraiment en l'occurrence d'une remotivation
? Le nom de lettre est intrinséquement signe de signe.
Le lien qui donc unit le signe A à la lettre A est donc
motivé a priori, quelle que soit l'actualisation. Dans
le cas des noms de lettres "le signe ressemble à
un référent qui est lui-même un élément
de signe : on ne sort pas de la langue, "alors que dans
le cas de l'onomatopée, le système du monde pénètre
le système des signes", observe Rey-Debove, tout
en prenant soin d'ajouter que "la situation du nom de lettre
se rapprocherait de l'onomatopée lorsqu'elle signifie
la forme matérielle de la lettre. Dans les expressions
un virage en S, un décolleté en V, une antenne
en T, etc. Le S signifie "la forme S" qui n'est pas
la "lettre S". Le poète va cultiver cette équivoque
entre la lettre et la forme, remotivant la relation signe-monde.
Ponge remotive le mot cruche en jouant sur l'analogie entre la
forme de la cruche et celle de sa troisième lettre :
Pas d'autre mot qui sonne comme cruche. Grâce à
cet U qui s'ouvre en son milieu, cruche est plus creux que creux
et l'est à sa façon. C'est un creux entouré
d'une terre fragile : rugueuse et fêlable à merci.
IV - HEURISTIQUE APPLIQUÉE
Si nous suivions les méthodes en vigueur au sein de
la critique universitaire, notre recherche trouverait son terme
dans sa phase herméneutique. Or l'orientation heuristique
de nos analyses veut que l'induction devienne indissociable de
la déduction pour se résoudre en ce Peirce appelait
l'abduction. L'impératif heuristique qui subordonne la
critique littéraire à la création, articule
la relation critique à la relation d'ordre (au sens mathématique
du terme).
Aussi l'heuristique littéraire réintègre-t-elle
dans notre horizon critique l'inventio de la rhétorique
classique. L'inventio qui n'est autre que l'eurèsis de
l'Organon aristotélicien. L'inventio qui était
objet de l'herméneutique, devient le moteur de l'heuristique,
comme de la création littéraire. La critique littéraire
doit donc résoudre l'antinomie bachalardienne entre épistémologie
de la découverte et poétique de la connaissance.
La mise en perspective heuristique de l'herméneutique
doit nous permettre de créer des oeuvres. Qu'il soit bien
entendu que l'heuristique littéraire n'a pas pour vocation
d'élaborer des machines de computation.
A. poésie et axiomatique
Ainsi la dynamique heuristique introduit par l'autonymie en
poésie a pour effet non seulement de repositionner la
poétique dans le champ cognitif en l'articulant à
la lexicographie mais encore de la confronter à l'axiomatique.
En effet, l'autonymie invalide le principe de contradiction et
celui du tiers-exclu sur lesquels repose l'axiomatique dans la
mesure où l'axiome "violette est une fleur"
n'est pas contradictoire de l'axiome "violette est un mot".
Nous arrivons à cette absurdité pour l'axiomatique
que le terme premier v n'est pas identique au terme premier v
! Or ce qui est inconcevable en axiomatique peut très
bien être validé en poésie sans que l'on
puisse dire que la proposition axiomatique est vraie et la proposition
poétique fausse, bien au contraire. Le métalangage
qui en mathématique est renvoyé à la méta-mathématique
s'intègre parfaitement au poème sans qu'il soit
nécessaire de distinguer les niveaux de discours. La logique
poétique, et notamment dans sa dimension lexicographique,
entretient implicitement une relation critique avec les mathématiques.
Si la rigueur (et l'humour) du travail de l'oulipo reste exemplaire,
la poésie ne peut se borner à une application systématique
des formules mathématiques (telles que l'application de
l'algèbre de Boole aux "poèmes booléens").
Les "oulipiens" en tentant de reconcilier poésie
et formalisation mathématique privilégient à
outrance les algorithmes au détriment des heuristiques
mieux adaptées poutant à la recherche poétique.
L'approximation heuristique doit permettre de porter une contradiction
épistémologique, que nous espérons féconde
entre la poésie lexicographique et l'axiomatique. On sait
que tout axiome repose sur des termes premiers non définis
et posés comme tels. Les termes définis d'un théorème
sont expliqués à partir de termes premiers non
définis. Si l'on considère les définition
de l'ensemble R des entrées du Robert et que l'on considère
tout sème (unité de signification) comme un axiome
et tout sémène (définition) comme un théorème,
on voit que dans l'ensemble R aucun terme n'est primitif puisque
chacun est défini par une entrée du dictionnaire.
De même tout signe autonyme employé dans le poème
par la relation métalinguistique qu'il entretient avec
l'ensemble R, explicite ou connotative (ex. route rime avec doute)
apporte une contradiction logique à l'a priori axiomatique.
B) heuristique de la création littéraire
La phase ultime de l'heuristique littéraire se confond
avec la création poétique. Au cours de la phase
herméneutique de notre recherche, nous avons structuré
des éléments qui doivent nous permettre de combiner
l'écriture du dictionnaire et celle du poème. A
ce stade Etiemble, en définissant le dictionnaire comme
un genre littéraire, nous apporte une précieuse
caution. Nous reprendrons la proposition heuristique de Duchamp
:
Acheter un dictionnaire et barrer les mots à barrer.
Signer : revu et corrigé
Parcourir un dictionnaire et raturer tous les mots
indésirables. Peut-être en rajouter quelques-uns.
- Quelquefois remplacer les mots raturés par un autre.
Observons au passage que l'eurèsis du poète Duchamp
s'articule parfaitement à l'heuristique "négative"
et "positive" de l'épistémologue Imre
Lakatos. En effet, Lakatos élabore une "méthodologie
des programmes de recherche" qu'il subdivise en deux parties,
la première nommée heuristique négative
qui indique quelle voies de recherche éviter (cf. Duchamp
"parcourir un dictionnaire et raturer tous les mots à
raturer") et la seconde nommée "heuristique
positive" balisant les voies de la recherche à suivre
(cf. Duchamp "peut-être en rajouter quelques-uns.
- Quelquefois remplacer les mots raturés par un autre").
Au terme du séminaire, forts de nos analyses herméneutiques
nous tenterons d'opérer une synthèse heuristique
de notre recherche à travers l'esquisse de deux uvres
de poésie lexicographique : LAS-NOV, dictionnaire apocryphe
du français, tome VI et LAS-NOV, poésies VI.
EN GUISE DE CONCLUSION
Interpréter n'est pas connaître. Les heuristiques
nous démontrent que l''interprétation n'est qu'une
phase du processus cognitif. En se cantonnant à l'herméneutique
la critique littéraire a paradoxalement favorisé
l'abandon épistémologique de la poésie.
L'absence de la poésie au registre des disciplines cognitive
aurait paru aberrante à un Jacques Peletier du Mans. Nul
doute qu'aujourd'hui, alors que que la question humaniste se
pose à nouveau avec acuité, une réintégration
critique de la poésie dans l'horizon scientifique serait
fort profitable, notamment à l'usage des logiciens qui
pourraient entre autres mieux comprendre la portée de
l'uvre d'un Raymond Lulle. Robert Blanché dans son ouvrage
La Logique et son histoire se résigne à faire une
place au théologien catalan en exprimant les regrets suivant
: "A la vérité, plutôt que d'un instrument
logique, on est là en présence d'un art qui permet
de mettre instantanément en présence une multitude
de "lieux" à la disposition du rhéteur".
Les critiques à l'égard de Lulle, si elles sont
pertinentes selon les idéaux logistiques, perdent de leur
acuité si l'on veut bien reconnaître que Lulle "poématise"
le calcul (pour reprendre la traduction du verbe allemand dichten
proposée par Henri Corbin dans sa contribution à
la traduction collective de l'Approche de Hölderlin de Heidegger).L'Ars
Magna est divisé en treize parties : l'alphabet, les figures,
les définitions, les règles, la table, etc. L'alphabet
comprend neuf lettres : B, C, D, etc., chacune admettant six
significations différentes selon qu'elle représente
un principe absolu, un principe relatif, une question, un sujet,
une vertu ou un vice. Voici par exemple ce que Lulle dit des
deux premières lettres :
B. signifie : bonté. - différence. - est-ce
que ? - Dieu. - justice. - avarice.
C. signifie : grandeur. - concorde. - quel ? - ange. - prudence.
- gourmandise.
On ne peut comprendre la portée des travaux de Lulle si
on les rattache a posteriori à une seule discipline telle
que la logique. L'Ars Magna en effet ne s'éclaire qu'en
relation avec les ABC du Moyen Age et notamment avec Li Abécés
par ekivoke et li significations des lettres de Huon le Roi de
Cambrai qui confère à chaque lettre de l'alphabet
une fonction de signe en utilisant la rime équivoquées
comme une combinatoire. Dans une optique heuristique il nous
faut donc considérer Lulle non seulement comme un théologien-logicien
mais aussi comme un poète.
Paul Valéry dans ses entretiens avec Frédéric
Lefèvre avait eu cette intuition remarquable "Il
y a bien une critique des valeurs et des moyens de la science,
mais l'art de trouver (quoi qu'on l'ait baptisé euristique)
demeure aussi personnel que tous les autres arts". Ce qu'il
y a dans ce personnel, c'est un recours au même sujet de
la phénoménologie comme instance à la fois
de la création artistique et de la découverte scientifique
dans une même appréhension qu'Husserl dirait noématique.
Le prélude heuristique de l'esthétique de Baumgarten
prend ici tout son sens. Valéry rend obsolète d'un
coup les problématiques de l'impersonnalité en
science et du lyrisme en poésie.
COLLÈGE INTERNATIONAL
DE PHILOSOPHIE
Sciences, Intersciences, Arts
1, rue Descartes 75005 Paris
THÉORIE DE L'HEURISTIQUE LITTÉRAIRE
programme des séances
mars à juin 1991
____
A partir d'une critique de l'herméneutique nous tenterons
au cours de ce séminaire de déplacer le centre
de gravité de la critique littéraire vers l'heuristique.
L'herméneutique, fût-elle sous la triple forme que
lui confère Gadamer, n'épuise pas la pragmatique
de la connaissance. L'herméneutique, ars interpretandi,
n'est pertinente en critique littéraire que comme moment
d'un processus plus vaste, ars inveniendi, l'heuristique.
Départis du clivage obsolète entre sciences humaines
et sciences de la nature, nous nous attacherons à dégager
les principes d'une heuristique littéraire, sachant a
priori qu'ils sont susceptibles de régir tout à
la fois la création poétique et la découverte
scientifique.
Une fois admis que le poétique excède le lyrisme
de l'appartenance, et que la poésie est justement cette
discipline qui résout l'antinomie que Gadamer avait établie
entre vérité et méthode, nous mettrons à
l'épreuve nos outils heuristiques en tirant de l'étude
des emplois autonymes du signe dans la poésie française
les éléments d'une lexicographie poétique
et les fondements d'une métalogie critique.
1 - mardi 19 mars de 16h à 18h / salle des débats
B
critique de l'herméneutique
La "pluralité monolithique" de la critique
littéraire contemporaine -L'herméneutique contre
la poésie : jalons historique d'une "émancipation"
(Schleiermacher, Dilthey, Heidegger)
2 - lundi 25 mars de 16h à 18h / amphi A
critique de l'herméneutique (suite)
L'herméneutique contre la poésie (suite): Gadamer
et Jauss - la constitution d'un canon profane - illustration
: le centenaire Rimbaud et le centenaire Banville - d'un canon,
l'autre : Jonathan Culler - Harold Bloom nous propose-t-il une
issue ? Le concept d'application repris par Gadamer aux piétistes
et aux juristes relève-t-il de l'herméneutique
? - Boileau et Hugo réunis par "l'application".-
commentaires sur la lecture par Hans-Robert Jauss des Dames du
temps jadis de Villon - les Trente-six ballades joyeuses à
la manière de François Villon de Théodore
de Banville : esquisses d'une heuristique littéraire
3 - jeudi 4 avril de 16h à 18 h / amphi A
fondements d'une heuristique
L'heuristique, rameau perdu de la philosophie allemande :Baumgarten,
Kant, un aspect négligé de l'uvre de Schleiermacher.-
Aristote, Lulle, Descartes, Leibniz, Baumgarten, Bolzano - les
heuristiques en intelligence artificielle - situation de l'heuristique
littéraire au sein de l'heuristique générale.
4 - lundi 8 avril de 16h à 18h / amphi A
les avant-gardes furent-elles modernes ?
(de l'herméneutique de l'innovation
à l'heuristique de la transformation)
5 - jeudi 18 avril de 16h à 18h / amphi A
exemple d'une recherche en heuristique littéraire :
le signe autonyme dans la poésie française
6 - lundi 13 mai de 16h à 18h / amphi A
valeur heuristique de l'autonymie dans la poésie française
Incertitudes de l'arbitraire du signe - la nominalisation
- dédoublements de la référence - autonymie
et rhétorique - autonymie et versification. - les fondements
poétique de la lexicographie : de la poésie sanskrite
aux ABC poétiques du Moyen Age - un sens plus pur aux
mots du dictionnaire
7 - vendredi 31 mai de 16h à 18h / amphi A
éléments de poésie lexicographique
Rivaliser avec le dictionnaire : Tabourot, Jean de la Taille,
Ménage, Cotin, Tardieu, Leiris, Queneau, Ponge, Cayrol,
Perros, Pichette, L'Anselme, Lambert, Heidsieck, Estang, Duprey,
Delteil, Bérimont.
8 - mercredi 4 juin de 16h à 18h / amphi B
éléments de poésie lexicographique (suite)
Les noms de lettres : Roger de Piis, Ponge, Pérol,
Lubin - il faut imaginer Hermogène heureux - contre l'arbitraire
du signe : D'Aubigné, Tardieu, Leiris, Claudel, Ponge,
Queneau, Oster, Guy Benoit - A l'assaut de Babel : Rabelais,
Butor, Deguy.
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