En France, l'enseignement supérieur est libre...mais pas l'Université ! De nos jours, il est convenu de déplorer le délabrement de l'Université. Cependant, l'observateur attentif aura noté que ces jérémiades ne sont pas toujours exemptes de pharisaïsme. En effet, elles émanent de vertueux personnages qui, pour la plupart, n'ont jamais fréquenté l'Université que pour y venir toucher un salaire (une fois sortis des "grandes écoles" où ils laissent l'essentiel de leurs forces). Partant, de cette indignation unanime, il ne faut pas attendre une action vigoureuse car, aussi vrai que nul n'est plus zélé à fustiger l'ENA qu'un énarque, nul n'est moins pressé de scier la branche sur laquelle il est confortablement assoupi qu'un révolutionnaire normalien. Ceux qui se lamentent sur le naufrage de l'Université n'en concluent pas qu'il conviendrait d'en appeler à la société civile mais entretiennent cette superstition que, bien qu'étant à l'origine des maux de l'Université, les hommes de l'Etat sont seuls capables d'y remédier. Ainsi, parler de réforme c'est encore éluder le problème car c'est toujours s'en remettre à l'Etat, qui en matière d'éducation a trop de pouvoir pour en faire usage. Comme le résumait Frédéric Bastiat dans son prémonitoire Baccalauréat et socialisme, «le monopole frappe d'immobilisme tout ce qu'il touche(1) ». Si nos bienfaiteurs n'ont que la réforme à la bouche, c'est pour mieux nous prendre à témoin de son impossibilité - la politique nationale ne consiste qu'à éviter de jeter deux millions d'étudiants dans des rues que, bon an mal an, il faut bien qu'ils arpentent avec plus d'assiduité que les amphithéâtres surchargés de l'Université. Le ministre et son client, l'étudiant "contestataire", oublient l'essentiel, ce paradoxe vertigineux qui est à la source de l'incompétence de nos élites : la France est la seule démocratie qui prohibe la fondation d'universités libres (gageons que seules les démocraties populaires, Cuba, le Vietnam, la Chine et la Corée du Nord sont aussi "progressistes"). Mais objectera l'initié, ne disposons-nous pas de nombreuses facultés libres ? L'enseignement supérieur commercial, notamment, n'est-il pas essentiellement le fruit de l'initiative privée ? Certes, le principe de la liberté est bien inscrit dans la loi du 12 juillet 1875 dont l'article premier proclame solennellement que « l'enseignement supérieur est libre(2) ». Lorsque je comparais la France aux pays totalitaires, n'ai-je pas cédé à la mauvaise foi du pamphlétaire au lieu de témoigner de rigueur juridique ? Car enfin, comment tel universitaire, qui de sa lointaine Amérique nous accorde, de but en blanc, tant de crédit, pourrait se figurer que le "pays des droits de l'homme" n'ait pas vu fleurir cent universités libres ? Eh bien, tout bonnement, parce que cette loi de 1875, qui affirmait le principe de la liberté de l'enseignement supérieur, a vite été corrigée par celle de 1880 qui, insidieusement, sans remettre en question le principe de liberté, l'a vidé de sa substance en interdisant aux établissements libres de prendre l'appellation d'université ! Et pourtant cette loi du 12 juillet 1875 n'avait rien d'audacieux
: elle fut le résultat d'un compromis et sa portée
resta limitée. Retenons que le texte accordait le titre
d'université à tout établissement libre
d'enseignement supérieur réunissant trois facultés
(article 5)(3). Une telle disposition
- qui permet encore aux deux grandes universités libres
belges, de Bruxelles et de Louvain, de bénéficier
d'un rayonnement international - aurait sans doute assuré
l'expansion des universités libres en France si elle avait
perduré. En vertu de la loi du 18 mars 1880, L'Etat récupérait
le monopole de l'Université en retirant à tout
établissement supérieur, quelle que fût sa
taille et ses moyens, le droit de porter le titre d'université(6). Cette entrave majeure freina le développement
des universités libres qui devaient désormais,
et doivent toujours (à l'exception des universités
catholiques fondées entre 1875 et 1880), se contenter
du statut de faculté, d'institut ou d'école.
Enjeux de l'abolition du monopole de l'Université Le combat pour la liberté de l'Université -
bien qu'ayant été livré (et perdu ?) à
la fin du dix-neuvième siècle - n'est pas pour
autant un combat d'arrière-garde. Nos enfants - qui ont
l'imprudence de voyager - comprendraient-ils qu'au siècle
de l'enseignement à distance, on se satisfasse d'un statu
quo vieux de plus d'un siècle et qui ne repose sur aucun
fondement académique. Quand l'éducation se confond
ainsi avec la propagande, ce n'est pas la connaissance qui retrouve
ses lettres de noblesse mais les démagogues qui s'en parent. Or, la clef de voûte du totalitarisme français
c'est le système des grandes écoles, unique objet
des soins de la caste dirigeante au détriment de l'Université
car elle s'y fabrique une légitimité. L'Université,
depuis le discours de Ramus(8), protégé
du prince, a toujours été l'objet du mépris
de l'intelligentsia. Dire qu'il convient de la réformer,
c'est faire croire que l'action humaine se borne au législatif
alors qu'il conviendrait de ne plus légiférer afin
que les chercheurs cessent de faire mine de rechercher ce que
l'Etat a déjà trouvé pour eux. Premier sophisme des adversaires de l'Université libre : le monopole est le rempart de la laïcité Les socialistes français, contraints de céder
sur les monopoles industriels, s'arc-boutent aux monopoles éducatifs
et culturels sous prétexte que l'introduction de la concurrence
dans les domaines de l'éducation et de la culture n'est
pas moralement acceptable. Ce raisonnement absurde revient à
rendre moral le vol. Brillante casuistique ! Tu ne commettras
point de crime, sauf coiffé du « chapeau magique,
avec marqué dessus "HOMME DE L'ÉTAT",
qui justifierait tous les mensonges, tous les pillages, tous
les meurtres, à condition de le porter(9)».
Tu ne voleras pas donc sauf muni du talisman de l'Education nationale,
au motif que la liberté en matière d'éducation
est immorale car "injuste". Outre son essence païenne, la prétendue vertu laïque du monopole constitue ce que Frédéric Bastiat appelait un sophisme économique. Ce sophisme leurre nombre de militants sincères, de gauche comme de droite qui, au nom de la défense de ce qu'ils croient être des valeurs républicaines, font le jeu d'une administration centrale plus occupée à soigner ses effets d'annonce et à caporaliser l'enseignement et la recherche qu'à libérer l'initiative. Le premier sophisme des adversaires de l'Université
libre consiste donc à justifier le monopole actuel en
agitant le spectre du retour des bénéficiaires
de l'ancien monopole, donné pour bien plus redoutable,
les congrégations, ou pire, en prophétisant la
mainmise de sectes tentaculaires que nos stratèges du
salami ne peuvent percevoir que comme les avatars modernes des
congrégations d'antan. Car, comme pour sauvegarder une
once de vraisemblance, le catholicisme moribond n'est pas attaqué
de front. Les matamores de l'intérêt général
préfèrent dénoncer la prétendue infiltration
des sectes dans l'éducation pour renforcer l'arsenal de
textes liberticides qui la régit. La communauté nationale s'accorde pourtant sur ce premier
terme de la laïcité : la sécularisation. Mais
les socialistes ont oublié son second terme, l'autonomie.
Dès lors que la laïcité se borne à
la sécularisation sans garantir l'autonomie des choix,
elle sombre de facto dans une statocratie qui ne peut qu'instrumentaliser
l'enseignement supérieur et ruiner l'indispensable "indépendance
du grammairien à l'égard de César(10)". Cette rhétorique de la guerre scolaire cache une réalité
historique plus embarrassante pour nos donneurs de leçons
démocratiques : l'inspiration libérale des grandes
lois sur l'enseignement (dont la loi de 1883 n'est qu'un rameau
tardif).
Second sophisme des adversaires de l'Université libre : l'Université relevant de l'intérêt général, l'Etat est seul habilité à fixer les orientations de sa rénovation Alors comment sortir du monopole ? Troisième sophisme des adversaires de l'Université libre : le monopole est le garant de l'excellence, de la scientificité et de la finalité professionnelle de l'enseignement supérieur C'est ici qu'il convient de redoubler de lucidité, car l'excellence est la figure de proue du totalitarisme français. Il est vrai que, la voyant poindre, on est d'abord séduit par l'allure attique d'une nation qui cherche ses élites au sommet de la pyramide des savoirs. Mais que l'on descende dans la cale et l'on découvre l'inanité des concours et l'immoralité de la redistribution. Car l'excellence républicaine est une hypostase des concours et non de l'action. Bombardées au service du bien public par la seule vertu de ces concours et y ensevelissant définitivement toute humilité, les pseudo-élites françaises oublient ce qu'elles ignorent et se jugent affranchies des contingences de la vie en société. Les hauts fonctionnaires se croient autorisés à voler leurs compatriotes qui, moins titrés, leur apparaissent, même s'ils s'en défendent, comme inférieurs. Nul ne serait moins «solidaire» qu'un major d'une grande école si la solidarité nationale ne servait pas d'abord à financer ses études et à honorer son confortable salaire. Cette Marianne méritocratique qui nous avait séduits au premier regard ne fait donc qu'orner une nef trop lourde, de plus en plus lourde, et qui ne tardera pas à précipiter la France dans les abysses, tels le Titanic hier et l'Erika aujourd'hui - par l'avant... L'illusion de supériorité que procure la réussite
à un concours de la fonction publique ne prédispose
pas au service de la société civile mais à
sa direction. L'excellence se convertit abusivement en légitimité.
Ce que l'entrepreneur - que les bourdieuseries sociologiques
présentent comme un égoïste, dans la mesure
où il n'est pas naturellement enclin à se laisser
détrousser par les chercheurs de grands chemins - n'obtiendrait
pas sans le libre jeu de la coopération sociale, le titulaire
d'un grade de la fonction publique l'obtient par une coercition
antisociale (prélèvement obligatoire sans évaluation
démocratique du service publique rendu par l'impôt).
A fortiori, le monopole de la collation des grades, que l'on nous présente comme la garantie suprême de la valeur des diplômes, s'avère en fait ce qui l'anéantit (ce phénomène rend "intransportables" la plupart des jeunes diplômés de l'Université). En effet, seule l'épreuve des choix de la société civile peut établir une échelle de valeurs des titres universitaires et non pas les certificats délivrés par les hauts fonctionnaires du sens, avatars contemporains des philosophes de la République platonicienne. Cette nullité de la valeur réelle des grades conférés par l'enseignement supérieur français fait tomber l'argument socio-professionnel des partisans du monopole. Dans un tel contexte, pourquoi les meilleurs esprits de l'opposition se sont-ils bornés, depuis 1968 et la loi Faure qui suivit, à préserver le statut des grandes écoles ? Parce qu'ils jugent que ces dernières suffisent à sauver "l'élitisme républicain", d'autant que la bourgeoisie croit ainsi tenir sa progéniture à l'écart du naufrage de l'Université (que l'on impute à tord à 68 alors qu'il est programmé dès la loi du 15 septembre 1793 qui abolit symboliquement l'Université). Au lieu de miser sur la liberté universitaire, la droite est ainsi prise au piège du monopole, laissant l'essentiel du système universitaire en jachère. Si les projets du ministre de l'Education nationale visant à "rapprocher" les grandes écoles des universités risquent de plomber encore un peu plus l'ensemble, force est quand même de constater que l'indifférence à l'égard du sort de l'Université repose sur cette croyance que l'entonnoir des grandes écoles suffit à promouvoir les justes, que leurs portes étroites suffisent à dégager l'élite dont on proclame que la France a besoin. Mais comment, avec la meilleure volonté du monde, encore qualifier d'élite une oligarchie qui ignore les lois rudimentaires de la coopération sociale, qui foule aux pieds les libertés au profit d'une redistribution qui ne profite qu'aux redistributeurs ? Oui, l'Etat français redistribue en monnaie de singe. Il ne donne que ce qu'il a déjà pris par la force; il ne donne un emploi qu'à ceux qu'il a déjà lui-même condamné au chômage; il ne donne un diplôme qu'à ceux dont il a déjà condamné l'ascension sociale. A défaut de rétablir le droit d'aînesse,
le grands commis de l'Etat socialiste s'accaparent ainsi les
grandes écoles qui ne remplissent plus leur rôle
de promotion sociale de jadis. Où est passé le
tiers ? Où est passé ce tiers de normaliens issus
des milieux populaires ? Les dieux n'autorisent plus dorénavant
ce miracle permanent qui faisait qu'un descendant de paysans,
comme Georges Pompidou, pouvait devenir président de la
République. Les seuls nouveaux convives au banquet de
l'élite républicaine sont les fils et filles d'enseignants.
Il faudrait donc que notre système d'enseignement supérieur fassent des citoyens alors qu'aujourd'hui ils ne fait que des électeurs. Les oligarques qui distribuent les diplômes comme des indulgences s'assurent peut-être une clientèle pour les prochains scrutins mais condamnent la démocratie. Car, une fois confronté au marché du travail, l'électeur diplômé d'aujourd'hui n'est autre que l'abstentionniste de demain.
Quatrième sophisme des adversaires de l'Université libre : le monopole permet de lutter contre le paupérisme Voyant ruiné ce sophisme de l'excellence, nos adversaires
ne manqueront pas d'agiter le spectre du paupérisme. Or
ce paupérisme, contre lequel on entend ériger l'université
en rempart, n'est pas, comme l'avait décrété
Marx, l'effet de la liberté économique mais la
fleur la plus vénéneuse du monopole. Privé
de tout, et en premier lieu de bien, le peuple de gauche a été
élevé dans l'idée qu'attenter à la
propriété d'autrui constitue un acte de justice
sociale. Il est entendu que le libre jeu de l'action humaine,
qui se manifeste par l'échange de biens, ne peut vouer
l'étudiant qu'à la précarité. L'Etat
socialiste croit pouvoir corriger cette "injustice"
en attribuant des diplômes qui ne sont reconnus que par
lui-même (nationalisant l'exclusion, en quelque sorte). En dernière analyse, il est illusoire de penser qu'un
pouvoir absolu, qu'un pouvoir fondé sur la ruine de la
propriété individuelle puisse conduire à
la justice en général et à la "justice
sociale" en particulier. Or, de même qu'il n'y a de
salut et de condamnation qu'individuels, il n'y a d'éducation
que de la personne. Toute conception collective de l'éducation
conduit à la primauté de la propagande sur l'instruction.
Il en va de même pour le financement des universités
: tout financement par voix de prélèvement aveugle
(l'impôt) conforte l'hégémonie du collectivisme
dans l'Université et assure son règne dans les
esprits des jeunes diplômés qui sont destinés
à gouverner le pays. Libérer l'Université ce n'est pas rallumer la guerre scolaire mais doter le pays des moyens de former des chercheurs; c'est contribuer à dissiper ce climat de guerre civile entretenu par les fausses élites (qui sont les seules à profiter de la redistribution fiscale, les enfants de hauts fonctionnaires étant les grands bénéficiaires de la gratuité des études) et de préparer cette révolution qui ne sera "de velours" que si la communauté universitaire contribue à la placer sur le terrain des valeurs (éthiques-esthétiques-économiques). Alors seulement pourrons-nous à nouveau caresser l'espoir de soustraire la France à une paupérisation qui semble aujourd'hui inéluctable.
Comment sortir du monopole 1 - valeur morale de la possibilité pour un individu de financer l'université de son choix Ayant souligné les sophismes du monopole universitaire,
il convient maintenant que nous examinions les moyens d'en sortir
ou du moins de desserrer son étau. Posons d'abord l'axiome
qui guidera notre action : pour qu'un "système"
d'enseignement supérieur puisse valoir et être évalué,
il est nécessaire qu'un nombre substantiel et représentatif
de citoyens le financent. Car l'impôt, qu'on le juge légitime
ou pas, n'autorise pas l'estimation en termes de valeur. La contribution
financière peut tenir lieu de baromètre de la valeur
d'une université pour tel ou tel individu et, au-delà,
pour une nation, sous réserve que le financement soit
volontaire. Aussi la valeur de l'enseignement supérieur
se détermine-t-elle à l'aune des contributions
de ceux qui lui donnent les moyens de subsister en connaissance
de cause et non en aveugle. Le discours des opposants à la mondialisation selon lesquelles il y aurait des biens dont la valeur échapperait au prix de marché (livre, cinéma, art, éducation...) revient de fait à cautionner les prix de monopole établis par les oligarques. Aujourd'hui, pris entre le marteau des pseudo-élites
mondialistes (qui le vouent au sabir) et l'enclume des pseudo-élites
souverainistes (qui prêchent un retour à Jules Ferry
- en taisant ses édits et discours liberticides), le patriote
français n'a toujours droit qu'à l'éducation
supérieure de ses enfants mais toujours pas droit de la
choisir. Le naufrage actuel de l'Université témoigne de l'égarement dans lequel peut jeter l'amour du bien public, la passion holiste de l'humanité, qui va toujours de pair avec ce mépris de la création et donc de la personne. La critique littéraire universitaire est emblématique à cet égard puisque ses courants contemporains sont fondés tant sur la mort de l'auteur - sans lequel il tombe pourtant sous le sens que la recherche littéraire est impensable - que sur la réception d'un lecteur théorique et illisible. En fait, érigée sur les dépouilles de l'exégèse, la critique littéraire universitaire s'est montrée incapable de se structurer comme une discipline laïque et repose aujourd'hui essentiellement sur une herméneutique païenne(16). En France, le chercheur en "sciences sociales" ne
peut trouver que ce que l'intérêt général
lui commande d'oublier. En France, la propriété collective n'a pas besoin d'apologistes, il est entendu qu'elle est préférable à la propriété individuelle. Pour secouer le joug du monopole de l'Université, il faut donc rendre aux Français la possibilité de donner. Or, c'est l'absence de puissantes fondations privées, conséquence des atteintes au droit de propriété, qui explique la pauvreté de la recherche universitaire française. Que peut bien être la citoyenneté dans un pays où le don n'est qu'obligatoire ? Les artisans de la libéralisation, Laboulaye déjà
évoqué, Hippolyte Taine et surtout ce grand publiciste
oublié que fut Emile Boutmy, fondateur de l'école
libre de sciences politiques qui sera nationalisée après-guerre,
avec l'infortune que l'on sait (puisqu'elle ne forme plus que
les cadres du parti unique) ont toujours insisté sur le
rôle des associations d'enseignement supérieur,
d'autant que le cadre de la loi de 1901 ne pouvait pas encore
être mis a profit. Comme le soulignait Emile Boutmy «
il n'appartient pas plus à l'Etat de faire des essais
et du nouveau en matière d'enseignement que de spéculer
en matière de finances. Il n'y est pas propre ; il a je
ne sais quelle roideur dans sa main; c'est la rançon de
sa force et de sa grandeur. L'initiative privée est hardie,
active et souple. C'est l'honneur des pays libres que des associations
spontanées se chargent de faire l'épreuve de toutes
les idées nouvelles, et la vigueur morale d'un peuple
se mesure à la part que chaque citoyen prend dans ces
sortes de tentatives(17)». Les moyens attribuables à l'éducation sont donc proportionnels à la richesse des citoyens et non à la puissance de l'Etat. Pour Laboulaye, cette liberté de l'enseignement, Université comprise, est le plus sûr rempart contre le socialisme, idée qui présida également à la fondation de l'Ecole libre de sciences politiques et d'HEC. Contrairement aux libéraux classiques qui s'en tenaient
à la défense des libertés privées,
Laboulaye a compris l'importance des libertés sociales,
au premier rang desquelles la liberté d'association qu'il
tient pour une des clés de la modernisation de l'enseignement
supérieur. Le déficit de démocratie participative
en France résulte, à ses yeux, de l'absence de
liberté associative. Il militera donc pour inscrire dans
la loi un chapitre intitulé : « Titre II. Des
associations formées dans un dessein d'enseignement supérieur »
Laboulaye justifie ainsi cette préoccupation : « Il
est difficile de s'occuper de l'enseignement supérieur
sans s'occuper en même temps des associations ; car il
n'y a que des sociétés puissantes et permanentes
qui soient en état de fonder de grands établissements
[...] En Amérique, ce sont des associations religieuses
ou laïques qui couvrent le sol de la République d'universités
nombreuses et riches qui répandent partout l'enseignement
supérieur, et le rendent accessible au moindre citoyen,
sans rien demander à l'Etat. Nous avons la chance, depuis 1901, de pouvoir exercer le droit d'association mais, en raison de la politique de terre brûlée fiscale d'un Etat (qui peut ainsi se vanter d'être le premier collectionneur de France et présenter le bilan nécessairement flatteur de la Fondation de France), les puissantes fondations qui sont à l'origine de l'essor des universités américaines nous font encore défaut. Toutefois, et c'est l'éternelle histoire de la poule et de l'oeuf, si nous attendons que les conditions financières soient réunies, nous ne formerons jamais les responsables capables de les réunir... C'est pourquoi les universitaires (et plus seulement dans les facultés d'économie et de droit, qui sont les os qu'on laisse à ronger aux partisans de la liberté économique) doivent préparer l'alliance des entrepreneurs et des pauvres spoliés par l'Etat avec le dernier carré des intellectuels dissidents. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille se satisfaire d'un appel des vertueux chercheurs aux politiques, de la vertu au vice. Nous n'avons pas l'hypocrisie de croire que l'Université est d'autant plus libre qu'elle est pauvre. Ce serait cautionner les prédateurs de la rue de Grenelle. Car c'est bien, entre autres, les Turgots du vingt et unième siècle que la liberté universitaire doit permettre de faire surgir. L'alliance entre le savoir et l'initiative est donc, comme diraient nos adversaires, objective. Comment les entrepreneurs et chercheurs peuvent-ils encore tolérer des prélèvements obligatoires qui alimentent des "centres" et "laboratoires" dont la seule activité scientifique consiste à fournir les constructions théoriques destinées à légitimer la destruction des richesses ? N'est-il pas temps de restituer ne serait-ce qu'une part de ces prélèvements à une recherche indépendante dont l'objet serait de libérer le marché des idées, d'émanciper heuristiquement l'action humaine au lieu de s'occuper de son instrumentalisation sociologique, herméneutique et statistique ?
Comment sortir du monopole 2 - Projet et objectifs d'une association pour l'université libre de Paris Une fois de plus la France va entrer en campagne électorale. Les municipales servant de galop d'essai pour l'élection, la seule, dont, quel que soit le vainqueur, il ne peut sortir qu'un président socialiste. Cette effervescence, pour factice qu'elle soit, peut être néanmoins l'occasion de travailler à faire sauter ce premier verrou symbolique : l'article 4 de la loi de 1880. S'assignant comme premier objectif fédérateur
l'abrogation de la loi de 1880, qu'il nous faut obtenir par une
campagne politique auprès de nos élus (si tant
est qu'ils aient encore quelque pouvoir) et auprès des
candidats à la présidence de la République,
une association pour l'Université libre devra d'abord
se signaler par sa capacité à rassembler des compétences
autour d'un projet précis, sans attendre que les conditions
législatives nécessaires pour sa réalisation
soient réunies. Compte tenu de la faiblesse de nos moyens, il n'est pas question
de fonder un établissement ex nihilo qui affaiblirait
les facultés ou instituts libres de la capitale mais de
les regrouper dans un tout qui assurera l'expansion de chacune
de ses parties. § Auprès de la représentation nationale,
notre travail de sensibilisation doit consister à faire
admettre les idées : § Avec la communauté intellectuelle, il s'agira
: § Avec les entrepreneurs et les militants associatifs
il s'agira : Qu'il soit bien entendu que je ne m'honore ici que du titre d'aiguillon et que ma modeste personne ne brigue rien. J'ai, toutefois, la vanité de croire que je serai en mesure de contribuer à la recherche et à l'enseignement universitaire dès qu'ils sera possible de se soumettre aux redoutables mais exaltantes contraintes de la liberté. Dans l'immédiat, je souhaiterais vivement recueillir votre sentiment sur ce projet et profiter de vos conseils et de vos suggestions. Souhaitez-vous être associé aux travaux de constitution de l'association pour l'université libre de Paris et sous quelle forme ?
Dans l'attente d'une réponse par courrier électronique
NOTES 1. BASTIAT F., Baccalauréat et Socialisme,
in Oeuvres complètes, tome IV, deuxième éditions,
Paris, Guillemin et Compagnie, 1863, p.444. |