En provoquant les retrouvailles
de six peintres choisis parmi les artistes qui ont fait les beaux
jours de la galerie 30, Jean-François Dubreuil nous donne
l'occasion d'une rigoureuse mise au point. L'il ne pardonne pas,
et il aura suffi d'un déplacement extra muros pour comprendre
que ce ne sont pas tant les prétendues sacralisations
du texte qui interdisent à ces peintres d'occuper leur
rang que les cécités post-structuralistes de nos
intellectuels.
N'en déplaisent à nombre de nos amis, il y a plus
ici matière à déconstruction du lisible
mais à reconstruction du visible. Extra muros nous restitue
l'ut pictura poesis de la Renaissance, cette solidarité
de la poésie et de la peinture qui ne se concevait pas
encore dans la confrontation empruntée du texte et de
l'illustration. A moins de croire que "ceci tuera cela",
telle est désormais dans cette éclipse aggravée
du pinceau, la condition de la pérennité du livre,
que notre époque menace. Cette forme ultime d'édition
est trop exacte pour s'exhiber dans l'installation et dans l'assemblage.
Le libre-arbitre de l'artiste - que l'on a que trop confondu
avec la liberté en art - ne détermine plus le statut
de l'oeuvre. Le geste cède à la conversion d'une
matière que la main renonce à dominer. Et c'est
l'outil lui-même qui se voit transformé par ce qui
n'est déjà plus une "production". A cette
condition seule, l'oeuvre peut abandonner sa puissance horizontale
pour l'acte du mur.
A la faveur de ces passages matériologiques, nous commençons
à entrevoir ce que serait un art conceptuel. Car l'art
n'est proprement conceptuel que dans le rapport critique du sensible
au concept et non dans l'exposition des signes attributs et fétiches
du concept, comme voulurent nous en persuader les artistes qui
ont cru pouvoir se proclamer conceptuels. Et c'est bien l'esthétique
- délestée de son égide dogmatique - qui
nous interroge à nouveau. C'est bien un novum organum
de l'esthétique qui s'impose en parcourant extra muros
sous la juste ambivalence kantienne, dans un premier temps des
conditions spatio-temporelles a priori de l'expérience
du sujet, (esthétique transcendantale), et dans un second
temps du jugement sans concept dans notre relation au beau.
Non, Le Journal d'IL de Gérard Duchêne n'est pas
ce lieu de la disparition du sujet, et surtout pas du sujet politique.
Pourquoi travaillerait-IL à la destruction du texte alors
que l'édition française s'en charge en refusant
d'imprimer les oeuvres du (vrai) cercle des poètes disparus
(de Guillaume de Digulleville à Michel Vachey) ? Ce que
tentent d'arracher nos six artistes à la civilisation
de l'audio-visuel, c'est la condition d'un regard intersubjectif,
c'est l'endurance du livre par la matériologie. La toile
libre ne se conçoit plus en rapport au châssis,
mais comme un parti pris du volumen contre le codex, ce codex
qui n'est plus envisageable chez Raoul Lazar que décousu
ou que reporté chez Pascal Mahou. Ce qui se roule comme
un volumen, voilà donc la mesure de notre colère
à laquelle Jean Mazeaufroid s'évertue à
donner une trame loin de ces amas de livres pilonnés que
l'on voudrait nous faire tenir pour les emblèmes d'un
"nouveau réalisme". Et c'est bien aussi sur
ce premier rouleau d'un livre en voie de disparition que René
Bonargent refuse de tirer un trait, élisant les matrices
de bois pour mieux enraciner l'écrit dans l'étymologie
latine de livre (liber, "écorce"). Qui pourrait
enfin nous empêcher, devant les travaux de Gilbert Dupuis,
de rappeler aux installateurs installés que le premier
substrat du papier lorsque les Chinois découvrirent sa
fabrication, ne fut autre que la soie, préface de tous
les transformats ?
Il est peut-être trop tôt pour recoudre ces paginations,
mais s'il se trouve déjà des peintres pour ne plus
prendre leurs ordres du "commissariat aux archives",
nous n'avons plus à redouter de proférer nos dépendances.
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